La céramique amazigh est un fait culturel puissant, à entourer de tous nos soins. Les lignes qui suivent sont les extraits de mon carnet de notes de voyage relatifs à la poterie modelée, ou plus exactement à trois rencontres au sujet de cette poterie, avec un collectionneur éclairé, un acteur touristique et une potière. Elles sont complétées par la présentation d'une série de plats de l'Ouarsenis des années 1960-62.
Ces notes concernent mon premier voyage en Algérie en octobre 2006, dans le sillage du jumelage entre les Universités de Tizou Ouzou et de Haute Alsace, jumelage dont les responsables m'avaient sensibilisé sur les ressources patrimoniales de la Grande Kabylie et interrogé sur le potentiel de développement local qu'elles recelaient. J'avais alors proposé mon concours. Etant libéré du service de l'Ecomusée, je me suis rendu en Kabylie afin de prendre connaissance du terrain. Grâce à la disponibilité des mes hôtes , en dépit de la fête de l'Aïd , j'ai pu m'immerger très rapidement dans deux thèmes patrimoniaux majeurs dans cette région, l'habitat et la poterie. Je livre ici mes notes qui n'ont aucune prétention scientifique ; elles ont pour seul objet d'accompagner modestement l'initiative locale et ce fécond jumelage universitaire dont un point d'orgue sera le colloque
« Gestion durable des territoires, développement local et solidaire » à Tizi Ouzou en novembre 2007. Dans le cadre ce colloque, il est envisagé de faire le point sur les initiatives actuelles, et souhaitables dans le futur, de valorisation du patrimoine, dont la poterie est emblématique. Je traiterai ailleurs mes notes sur l'architecture vernaculaire. Les noms de personnes et de lieux restent, par déontologie, anonymes.
Figure 1 : poteries in situ dans une maison inhabitée
Figure 2 : décor mural réalisé avec la même terre que celle employée pour engober les poteries
1. Le collectionneur éclairé
23 octobre : On nous a beaucoup parlé d'une considérable collection de poteries, constituée par un professeur d'université, M.M.D., qui poursuit le but de créer un musée. Nous rencontrons M. M.D. à son domicile, une grande maison ; de la rue, on n'en voit qu'un mur aveugle dans une suite de maisons en bande d'un seul étage, mais l'intérieur très vaste se livre sur deux étages qui tirent parti, comme toutes les maisons ici, de la forte déclivité du terrain. Cet intérieur va se révéler saturé de céramiques, classées et rangées avec un soin extrême.
Dès l'entrée nous sommes sous le choc, puisque c'est là que nous voyons les premiers couffins, des silos à céréales, fruits et légume secs, au singulier
akufi, au pluriel
ikufan .Ces couffins, en fait des silos, sont construits sur place dans les maisons, où ils forment délimitation entre l'habitat humain et celui des animaux. Armées d'un bâti de roseaux, les parois sont en torchis très fin de terre, de paille hachée, de poils animaux, c'est du moins ce que l'on décèle à l'œil nu.
Selon M. M.D., ces couffins –comme les céramiques- sont sexués : de formes arrondies ils sont féminins, de forme anguleuse masculins, le cas échéant flanqués au col de deux glands. Certains sont, toujours selon M. D., hermaphrodites, représentant l'accouplement à travers la fécondation de la jarre par un serpent.
Les couffins sont bien sur remplis par le haut, et déstockés à travers deux orifices bouchés au liège en façade. Ils peuvent comporter l'inclusion d'un miroir ou éclat de miroir.Nous passons aux terres cuites, M.M.D. nous dit dans quelles conditions il les récupère, avec le consentement des ayant-droit, notamment sur les tombes ou auprès des endroits sacrés –arbres, rochers etc…comme nous en verrons plusieurs. Les jarres votives sont utilisées pour la toilette mortuaire du mort, puis placées sur sa tombe pour donner à boire au défunt. Elles sont rituellement percées, a posteriori, d'un trou sur leur panse.
Au point de vue des décors, M.M.D. identifie trois bases :
- la Pléiade, symbolisée par un cercle de points et un point central qui peut être d'une autre couleur
- le serpent ou la salamandre terrestre : avant de devenir potière, il faut lécher sept fois une représentation de salamandre terrestre
- le triangle
auxquels s'ajoute l'alphabet
tiffinagh (25 caractères) avec récemment un recours à la lettre Z , symbole du combat identitaire, d'introduction récente dans le décor de la céramique.
Les décors seraient propres à chaque tribu ou village, mais il peut y avoir hybridation en raison de mariages.
La finesse du dessin est un indicateur de l'âge des potières, les yeux des celles-ci fatiguent.
Dans les pièces en relief, le serpent serait symbole de virilité et la perdrix de féminité.
Il n'y a pas de glaçure, le brillant –qui n'est pas la règle générale- est apporté par une résine apposée sur la pièce encore chaude après cuisson.
Nous passons ensuite aux supports des terres cuites de cuisson sur le foyer ouvert, le
kanun, sortes de chenets –lesquels peuvent aussi être de simples galets-
Selon M.M.D. la Kabylie comporte 20 sous-ensembles « tribaux et culturels ». Le musée , comme il l'imagine, devrait présenter d'abord la créativité générale, sans doute entend –t-il la stylistique, puis les variantes par tribu, et enfin une synthèse. Il compte 1500 villages –dont il déplore qu'aucun ne soit classé-, ce qui représente « au départ », c'est-à-dire avant la diffusion de nouveaux modes de construction dans les villages, 130 000 maisons traditionnelles; il en subsiste selon lui 30 000. Il en garde la trace par 70 000 photographies qu'il en a faites, encore à l'état de négatifs argentiques, non tirés sur papier.
Evidemment, la céramique est associée aux offrandes faites sur les lieux de dévotion, du reste si les gens ne sont pas opposés à ses récupérations d'un vase suspendu à un oléastre, ils ne manquent pas de l'avertir que c'est à ses risques...Parmi les menaces d'extinction du patrimoine potier, il évoque les islamistes pour lesquels ces dessins sont des marques du diable, et les caractères
tiffinagh non conformes à la culture islamique.
Une autre menace est la commercialisation des pièces anciennes et peut-être neuves, via Nabeul en Tunisie qui semblerait importer les pièces artisanales kabyles et en retour exporter en Algérie sa production industrielle.
Après avoir passé quatre heures ensemble – nous n'avons pas vu le temps passé-, M.M.D. nous propose d'aller déjeuner, mais c'est toujours ramadan… on se rabat sur l'hôtel où l'on ne peut déjeuner que d'un gâteau de l'Aïd. Au passage, il ouvre une double porte ancienne scénographiée dans le hall, qui révèle des photographies d'intérieurs traditionnels habités : « je vais vous montrer pourquoi ces gens se sont battus pour l'indépendance, combien ils étaient pauvres ». M.M.D. alterne l'admiration de la beauté de la civilisation matérielle passée, avec un zeste de romantisme, et le rejet des conditions économiques et sociales difficiles dont ces objets portent témoignage.
Comment aborder la valorisation de cet ensemble d'exception ? M. M.D. est , à la tête de son impressionnante collection de poterie, clairement en attente d'un musée d'ethnographie paysanne dans une sensibilité « Arts et Traditions Populaires ». On entend par cela le respect pour l'ingéniosité des réponses anciennes à la difficulté de la vie, sans nécessairement transposer cette admiration sur le terrain des valeurs et des modèles. Cette sensibilité prend en compte l'objet dans ses multiples dimensions de production, d'usage, de différenciation entre artisans et entre tribus, et lui reconnaît son polysémisme. Il en résulte une collection constituée avec persévérance et méthode, enrichie par une documentation photographique qui va bien au-delà de la seule localisation des collectes. Le goût du collectionneur, la nature et l'ampleur de la collection , orientent vers un certain genre de musée très spécialisé, et je ne peux pas dire si à mon avis c'est une bonne ou une mauvaise chose que de créer un grand musée de la poterie. Il faut d'abord savoir quel public on veut viser. Et on tous cas, le problème n'est pas tellement le musée en tant qu'équipement car ce n'est qu'une question d'argent. La question posée est celle de la vie de la collection, c'est-à-dire de l'équipe nécessairement brillantissime qui saura inonder les grandes institutions étrangères d'expositions temporaires de haut niveau : car cette poterie peut être un formidable ambassadeur de la Kabylie.
Si, autre option, cette collection prenait place dans un musée généraliste, la poterie en constituerait un pôle majeur, ce qui ne serait que justice rendue à la puissante originalité de cette production. Et la question de la vie de la collection se pose à peu près dans les mêmes termes.
2. L' « acteur touristique »
28 octobre. Un tour à la maison de l'artisanat de Tizi Ouzou –un bel ensemble de boutiques avec beaucoup de produits de qualité- nous permet de rencontrer un jeune homme qui tient la boutique de tapis en l'absence de sa propriétaire. Il est très disert sur les « traditions » kabyles, et nous pouvons à travers cela nous faire une idée sur la façon dont les jeunes générations assument l'héritage culturel et le transmettent aux touristes lamda que nous sommes. On aborde le sujet de la poterie : selon lui la forme et les décors changent suivant l'âge de la potière, et il rejoint en cela une lecture anthropomorphique des formes de poterie. Il définit une forme propre à l'enfant choyé, une forme « gaie » pour la jeune fille, une forme pour la femme et enfin pour la femme très âgée. Les décors peuvent être des messages codés envoyés par exemple à une fille qui s'est mariée dans un autre village. Le chiffre cinq correspond au nombre réel des saisons dans le « calendrier berbère ». Il nous montre la tête de serpent, la boule qui symbolise le pain de farine de glands, l'étoile du lever…tout cela avec un grand enthousiasme. Du reste, il nous parle beaucoup du tourisme en déplorant qu'il n'existe pas de formation véritablement professionnelle de guides qui seraient chargés d'un bon bagage sur la culture du pays.
Dans la boutique, un petit tapis vert , jaune et rouge est une production traditionnelle aux couleurs de l'équipe de football, dont l'entraîneur M. Mengelti nous avait déjà offert, à Tizi Rached, la casquette et l'écharpe «
Imazighen-J.S.Kabylie – les lions du Djurdjura ». Cette contribution de l'artisanat domestique traditionnel à une cause populaire contemporaine, est très rafraîchissante , et rassurante sur la vitalité de l'artisanat.
Le souci de ne pas trop traîner de bagages me fait sélectionner seulement deux céramiques, une lampe à huile à pied et anse, non décorée, qui rejoint dans ma collection une
buqal.
Figure 1 : buqal et lampe à huile
Je collecte également un objet non utilitaire, « souvenir »de facture manuelle tout à fait traditionnelle, associant plusieurs symboles contemporains de l'identité kabyle, et montrant lui aussi la vitalité de cet artisanat, vigoureux et sincère même appliqué à un objet non fonctionnel d'essence contemporaine, un pur sémiophore . Il est composé en deux
ikoufan associés et communicants, dont le col est décoré en relief du Z emblème amazigh et d'une perdrix dont les ailes portent l'inscription « Matoub Loubnes », le célèbre poète et chanteur assassiné en 1998. A chaque angle de dresse un gland. La panse droite, évasée vers le haut, porte des stries, éventuellement la salamandre terrestre.
Figure 2 : objet souvenir reprenant la morphologie de deux ikoufan, en vente à la maison de l'artisanat à Tizi Ouzou.
3. Grand-mère, mère et petite-fille, toutes potières
28 octobre. Nous visitons une maison ancienne à B.Z.. Comme d'autres que nous avons pu voir pendant le séjour, elle n'est plus habitée de façon permanente, mais la grand-mère, ancienne habitante, qui était potière, continue à y venir régulièrement, à l'entretenir et à y vaquer à des tâches diverses.
Figure 3: poteries peintes par la même Mme A. avec des couleurs synthétiques
Puis nous rejoignons sa fille, Mme Y.A., dans la grande maison neuve construite par son fils dans le bas du village, où elle habite avec lui.
Mme Y.A. n'a jamais été scolarisée et est potière depuis l'âge de 13 ans, comme l'est sa mère qui continue à décorer des pièces, nous en avons vues dans la vieille maison, mais avec des peintures du commerce.
Mme Y.A. vient de terminer une cuisson. Celle-ci s'effectue sans four : on dégage une place dans la cour sans même creuser un trou, les poteries sont empilées obliquement et couvertes de bois. La cuisson dure deux à trois heures. Le temps doit être beau et chaud, sans vent. Les jours favorables sont le samedi et le mercredi, si c'est impossible l'un de ces jours le dimanche ou le mardi, mais en aucun cas un autre jour.
Il n'y a pas non plus d'atelier en tant que pièce spécialisée, aménagée à cet effet. Mme Y.A. dispose du fond d'une pièce du rez-de-chaussée, un garage pourrait-on dire, où elle travaille assise par terre. Le seul outil visible est un gros galet, qui lui sert de meule pour broyer les tessons en vue d'obtenir de la chamotte , incluse à la terre après trois jours de trempage de celle-ci.
Les pièces sont montées en colombins, ragréés pourrait-on dire avec de l'argile appliquée à l'estèque ; puis les parois sont tirées avec un tampon de liège et enfin polies avec un galet. Les anses sont rapportées et fixées dans une cavité ménagée à cet effet pendant le montage.
Figure 4 : tampon de liège utilisé pour « tirer », homogénéiser les parois
Figure 5 : utilisation finale du galet pour le polissage des parois
Les pièces sont passées à l'engobe blanche, puis décorées au pinceau. Le rouge est un mélange d'ocre (avec eau et/ou huile d'olive), le noir est de l'hématite acheté auprès de marchands ambulants arabes. Les pinceaux sont faits de touffes de poils (de chèvre ?) de différentes épaisseurs réunies par une boulette d'argile formant manche.
Figure 6 : pinceaux et palette de couleurs, à côté d'un gâteau de l'Aïd
Le décor est souvent fait par la fille de Mme Y.A., comme c'est souvent le cas des potières, la vue baisse à un certain âge et la jeune fille prend alors le relais pour les décors les plus fins.
Les pièces issues de la dernière cuisson sont toutes apportées dans le salon et nous les photographions l'une après l'autre. Apparemment, une quinzaine de grosses pièces –dont une réservée à notre collectionneur éclairé M.M.D.- ont été cuites cette fois-ci.
Les décors sont décrits au fur et à mesure :
- fibule
- Pléiade ou voie lactée
- La lune et les étoiles
- Rayons de ruche
- Tête de serpent
- Gobelets empilés
- Orvet ( ?)
- Patte d'oiseau
- Salamandre terrestre
- Arrête de poisson.
Figure 7 : décors de la cuisson de fin octobre 2006
Figure 8: cette protubérance (« nombril » ?) au milieu de la panse outre sa fonction de renforcement de la paroi , est un repère de montage de la pièce, ici la mesure est l'empan (les intervalles entre anses et nombrils sont réguliers).
Figure 9 : pièce en cours de préparation dans l' « atelier » : elle doit encore recevoir le décor peint. Elle combine des perdrix et quatre sortes de vases, selon le même principe de composition des triangles et des carrés, en trois dimensions, que celui du décor peint.
Figures 10,11,12,13,14: catalogue des pièces de la cuisson de fin octobre 2006
Marc GRODWOHL
2007
autres poteries modelées féminines:
Une potière iranienne de terre modelée : Madame Atieh Roshanfekh
SOURCES
LIEBERHERR Renaud, Le feu domestiqué, usages et pratiques dans l'architecture mondiale, 157 p., Etablissements humains et environnement socio-culturel 54, UNESCO 2006
BOURDIEU Pierre, La maison ou le monde renversé, trois études d'ethnologie kabyle, in Esquisse d'une théorie de la pratique p.61-82, 1972
LACOSTE-DUJARDIN Camille, Dictionnaire de la culture berbère en Kabylie, 393 p., 2005
MUSEE DE LA POTERIE MEDITERRANEENNE, Saint-Quentin-la Poterie (30700), exposition 2004
« Poterie berbère, un art au féminin », textes des panneaux et catalogue de l'exposition « Plats kabyles », Edisud.
PUBLICATIONS RECENTES
BECQUART Geneviève, Ideqqi, art des femmes berbères d'Algérie, in Revue de la céramique et du verre N° 155, Juillet-Août 2007,p.18-19
ALLAIN Madeleine, PRESSET Claude, Vivre avec des potières de la Grande Kabylie, in Revue de la céramique et du verre N° 155, Juillet-Août 2007,p.20-23
ALBANA PRESSET Claude, HAMEL Ernest, MORSLY Dalila, VIVIER Marie-France, Ideqqi, Art de femmes berbères, Musée du quai Branly, 95 p., juin 2007
annexe : 4 plats décorés de l'Ouarsenis, 1960-1962
Ignorant que je m'intéressais à la poterie modelée féminine du Maghreb, mon ami le docteur Pierre Coulon me montrait ses travaux en cours. La conversation, du Maroc glisse vers l'Algérie, où Pierre avait effectué son service militaire… et j'évoque la poterie. Il m'emmène au grenier et me montre un ensemble de céramiques… Nous quittons la Kabylie pour néanmoins rester en Algérie. Extrait de son fascicule « séjour d'un médecin aspirant au sud du massif de l'Ouarsenis de septembre 1960 à mars 1962 », dans le resserrement –poste de Trebadj à 50 kilomètres de Tiaret- :
«
J'étais en relation avec la jeune potière ; j'ai plusieurs poteries ornées de signes géométriques traditionnels et j'ai organisé l'envoi (sous haute protection !) de pots qui ont été vendus à Mulhouse.
J'ai évoqué, dans le poste de Trebadj, les rencontres que j'ai eues avec de jeunes femmes qui continuaient, dans leur resserrement très mal équipé, à cuire des pots pour le lait ou des plats plus évasés, décorés traditionnellement de motifs géométriques caractéristiques de la civilisation berbère. J'appréciais ces poteries, à tel point que j'en ai commandé un certain nombre, dans l'espoir d'en envoyer en France par des militaires partant en permission –leur fragilité rendait tout transport par les Postes aléatoire !_ pour les y vendre, au bénéfice des potières, bien sûr !
Finalement, nous en aurons vendu quelques dizaines autour de Mulhouse…
(…) Lors de mes commandes dans le resserrement, j'avais demandé aux potières de « signer » ces pots en y ajoutant quelques figures humaines –à dire vrai, une figure de bonhomme avec un chapeau à grands bords tenant une sacoche à la main, parfois aussi un gamin du djebel, ou le même bonhomme à cheval… Et quand j'ai montré mes pots à Marc, je lui ait dit tous les regrets que j'avais eu par la suite, en violant les lois de l'Islam qui introduit toute représentation humaine. Et Marc m'a rassuré (…) » Je m'étais en effet empressé de communiquer les photographies de ces plats à un éminent spécialiste, le Professeur Pierre Guichard(1), qui a bien voulu entretenir avec moi une correspondance suivie sur la céramique berbère, et qui m'a signalé des précédents, en m'écrivant : «
La fantaisie chez les potières semble être un fait ancien: dans le catalogue de l'exposition L'Islam dans les collections nationales (mai -août 1977),
figure une jatte de l'Ouarsenis entrée au MAAO en 1910 avec des dessins curieux (dont un vélo) »
(1) M. Pierre Guichard a livré une contribution aux « Entretiens du Patrimoine » , tenus à Paris du 19 au 21 mars 207 à l'initiative du Ministère de la culture, sous le titre « L'Europe musée du monde, le patrimoine européen et ses dimensions extra-européennes », publication à venir, contenant d'intéressants développements sur l'intérêt déjà ancien (milieu XIX e siècle) de l'Europe pour la poterie berbère.
Figure 25: plat avec le médecin, à cheval, à pieds portant sa sacoche, à pieds avec sa sacoche et tenant un enfant
Figure 26
Figure 27
Figure 28
Juillet 2007
Annexe 5 : Croquis d'un collectionneur pas comme les autres
Cet article sur la poterie modelée féminine est parmi ceux, sur mon site internet, qui me vaut le plus de correspondance. J'ai pu ainsi mettre en relation des chercheurs et des spécialistes, de part et d'autre de la Méditerranée, qui ne se connaissaient pas. Tant mieux, si ce résultat au moins a pu être obtenu.
Il m'a valu aussi d'agréables renouements. Avec un ami de colonie de vacances, alors que nous avions dix ou douze ans, nous nous échappions –déjà- des activités et animations organisées pour notre détente et éducation. Nous faisions de longues promenades dans la forêt de Grendelbruch, autour de la colonie. Et nous échangions sérieusement sur les directions à donner à nos vies. Cet ami s'appelle Gérald Krebs. Nous ne nous vus depuis 45 ans, et pas davantage écrit ; il put prendre contact en 2008, m'ayant retrouvé au hasard de ce petit texte sur internet. A le lire, je n'eus aucune peine à me rappeler très précisément de quoi nous nous entretenions. Je ne fus pas surpris de ce qu'il me dit : «Plus ouvert aux cultures d'Afrique subsaharienne, c'est devant la totale méconnaissance de mon environnement nancéien que je me suis mis à récupérer ici et là les poteries kabyles délaissées sur diverses puces et salles de vente locales » et pas davantage des expositions et publications (« Goutte d'Afrique ». Ed. MJC Pichon. Nancy) à travers lesquelles il démonte le colonialisme, et l'ethnocentrisme toujours à l'œuvre dans la manipulation des objets. Je lui ai demandé s'il voulait bien rédiger un billet sur ses humeurs de collectionneur, acteur engagé engagé. Le voici :
« Curieux depuis toujours des formes et des histoires que l'esprit humain s'invente pour s'illusionner sur sa durabilité, après une longue décennie consacrée à la bande dessinée qui sortait depuis peu de l'adolescence, je me tournai vers les traces laissées par les peuples démembrés des anciennes colonies, au premier rang desquelles -disponibilité matérielle oblige- elles d'Afrique Noire.
Vide-greniers, brocantes, puces, dépôts et salles des ventes de province en ces années 80 se multipliaient et je ne désespérais pas y trouver quelques unes des sources qui avaient régénéré l'art occidental officiel du début du XXème siècle.
Principalement destiné à un rêve de collection publique dans une région (Lorraine) qui en est toujours dépourvue, cet ensemble nécessita très tôt une recherche livresque appropriée (ma liberté d'action...et mon goût -présomptueux voire stupide- pour l'indépendance m'interdisant la fréquentation assidue des grands musées) et c'est au cours de celle-ci que je découvris un premier article consacré aux poteries rurales de Kabylie, dans le numéro 4 daté de 1994 du "Monde de l'Art Tribal", revue organisée pour vanter et soutenir un marché en pleine expansion.
L'oeil était ouvert sur un horizon de plaisir ainsi élargi. Mieux encore puisque si la méconnaissance d'alors des céramiques subsahariennes venait principalement d'un rareté due à une relative fragilité associée au cliché faisant des masques et fétiches de bois l'essentiel de la production estampillée "art nègre", les poteries berbères semblaient subir en sus un mépris peut-être lié aux mauvais souvenirs d'une Algérie mal perçue... parce que mal perdue? Ainsi, bien qu'immédiatement identifiable pour une part conséquente d'entre elles, les premières pièces débusquées furent: sur une puce un petit chandelier vendu pour précolombien ("un client m'a dit que çà venait d'Amérique du sud"), autre puce autre chandelier, cette fois-ci grec ("c'était dans un restaurant grec alors..."), passant en petite vente aux enchères de semaine chez un spécialiste d'Art Nouveau on retourne pour 2 gargoulettes phalliformes au précolombien, tandis qu'une autre, plus simple de forme, passera dans une autre salle avec pour seule attribution qualitative son ancienneté ...et que 2 plats anciens estampillés "arabes" finiront dans la troisième salle avec un lot de brocs et moules alsaciens (pour les rendre présentables?). Restait un bon vieux stand humanitaro-catholique et son "vous savez, c'est pour les bonnes oeuvres, alors quant à savoir ce que sont ces 2 animaux et d'où ils viennent...", à propos de 2 pièces figurant une poule et un poisson de belle facture.
Depuis ce temps, quelques ouvrages disponibles au grand public (" Algérie, mémoire de femmes" en 2003 et "IDEQQI" en 2007, complétant le passionnant "smashing pots" de Nigel BARLEY de 1994 qui liait enfin toutes les régions d'Afrique) ont pu faire sortir des arrières boutiques de Paris ou Bruxelles les petites merveilles qui y somnolaient sous le mépris de l'absence publicitaire. De quoi peut-être attirer quelque nouveau Champollion pour nous livrer enfin les secrets des mystérieux messages peints en décors parlant une symbolique parait-il oubliée et parant les corps de ces oeuvres d'art populaire qui valent bien après tout les meilleures pièces de Bernard Palissy!
Gérald KREBS. Juin 2008 ».
[1] Iniyen en terre cuite ou en pierre, où résident les esprits domestiques « gardiens du foyer » cf LIEBERHERR p.123
[2] Imazighen, pluriel de
amazigh, néologisme récent (1945) par lequel les kabyles auto-définissent les berbères