« Le patrimoine de l’écomusée en péril » ?
L’écomusée d’Alsace fait la une de la presse quotidienne régionale en ce printemps 2023. Autour des remous occasionnés par le départ de son troisième directeur (depuis mon propre départ en 2006) d’autres vrais ou faux problèmes sont soulevés. On met notamment en cause des défauts d’entretien des bâtiments, dont résulterait un mauvais état général des quelque 70 bâtiments du site. Je n’en sais rien, n’ayant pas mis les pieds dans ce musée depuis 17 ans. Je lis seulement la presse et y apprends que la restauration de la maison de vigneron de Wettolsheim coûtera la bagatelle de 450 000 euros. C'est cher payer 17 ans de négligence et de déficience de l'entretien courant. On emballe la chose en proclamant que ce sera une occasion formidable et exemplaire de transmission de savoir-faire. Tout de même, quel applomb...
On me demande, par ci, par-là, si je ne suis pas touché par l’état supposé de ce qui fut l’œuvre de ma vie. A vrai dire non, s’il y avait des dommages matériels ils seraient réparables — sous réserve bien sûr de mobiliser les compétences requises.
Par contre je suis évidemment interpellé, et ce n’est pas d’aujourd’hui, sur la déshérence intellectuelle du musée dont on se demande s’il peut encore être nommé ainsi. Un des articles parus (journal L’Alsace du 23 avril 2023) titre « Le patrimoine de l’écomusée en péril », ce qui vise l’état physique des bâtiments. Le péril n’est pas vraiment là. Si on observe la photographie, qui montre l’atelier de poterie de Théodore Siegfried reconstruit et reconstitué en 1994, on voit qu'est accroché sur ce dernier un panneau ancien « Spezerei und Wurstwaren – Stoffe und Kurzwaren Théodor Hueber ».
Ce qui veut dire « Spécialités et saucisses. Etoffes et mercerie. Theodor Hueber »
Saucisses ?
Qu’est-ce-que panneau a à voir et à faire avec cet atelier de poterie que nous savions si minutieusement sauvé de la destruction, démonté, reconstruit et mis en fonctionnement (voir l’article) en veillant scrupuleusement à ce que ce dernier, jour après jour, soit au plus près d’une vérité historique et ethnographique ?
La seule explication est que quelqu’un a estimé que ce panneau, parce qu’ancien et écrit en allemand (l’a-t-on seulement lu et vu que c’était une histoire de saucisses), ferait joli sur cette façade. C’est un détail dirons certains. D’autres, ou au moins un autre, moi, y voient l’attristante perte de sens du musée. On ne sait plus ce qu’on y conserve, on ne sait plus ce que l’on y montre. Pour un musée c’est plus grave que quelques tuiles cassées. Vous avez dit patrimoine en péril ? Réfléchissons de quoi le patrimoine est fait, que vaut la matière du patrimoine sans le souffle qui l’anime ? Ou alors résignons-nous à l’indifférence. En dialecte « as esch mr wurscht », « ça m’est saucisse » signifie « on s’en fiche ». J’ai bien peur que ce soit cette tendance qui domine.
A la une du journal "L'Alsace" 27 avril 2023