La crèche de Noël de Petit-Landau
« Chaque année, Milo rajoute à la scène
Son imagination jamais tarie
Ce qu'il apporte est de son invention même,
Serait-ce un sujet d'importance ou le moindre chouia »
Et chaque année Jean Hoefferlin, maire honoraire de Petit-Landau, compose un poème pour le livre d'or de la crèche de l'église, encourageant ainsi M. Emile Escher, dit « Milo », a poursuivre l'œuvre qu'il a rêvée enfant, et à laquelle il donne vie depuis 1976. On rencontre toutes sortes de choses à Noël, même des oasis de beauté, de gratuité et de bonté sans tapage. Cet endroit en est. Invitation à la visite…
Figure 2 : M. Emile Escher en train de présenter la crèche aux pensionnaires de la maison de retraite
Figure 3 : plan schématique des principaux tableaux de la crèche
L'été dernier (2008), j'ai recueilli les paroles d'habitants de Petit-Landau (Haut-Rhin), dans l'objectif de saisir sur le vif ce qui « fait village » aujourd'hui. J'ai alors échangé quelques mots, au seuil de la porte de son jardin donnant sur la rue, avec Monsieur Emile Escher, « Milo » pour les intimes. Il m'a alors invité à revenir à Noël, pour voir la crèche de l'église dont il s'occupe depuis 35 ans, assisté de son adjointe Edwige Muller. Voici qu'il m'en dit alors, ne pouvant qu'exciter ma curiosité. La préparation représente, pour le seul montage, 60 jours de travail, répartis entre quatre personnes. L'installation est en place autour du 20 décembre et reste visible jusqu'au 15 janvier. Tout cela est parti d'une crèche réalisée pendant la Première guerre mondiale par un soldat allemand cantonné à Petit-Landau.
Figure 4 : à droite, la crèche réalisée par le soldat allemand inconnu –on en a perdu le nom- cantonné à Petit-Landau en 1914-1918
Figure 5 : détail de la crèche du soldat allemand, Nativité
Figure 6 : fronton de la crèche du soldat allemand
Milo l'a restaurée et chaque année il y rajoute une scène. Il y a un troupeau de moutons, qui marchent, un étang avec la roue à aubes d'un moulin qui tourne. Des bûcherons scient du bois et il y a du feu dans la cheminée. On l'a compris, Milo est un inventeur de génie, tous les tableaux sont animés par un moteur et des jeux de lumière. C'est aussi un muséographe, qui collecte les objets témoignant des choses de la vie. Il s'est ainsi rendu à Vaison-la-Romaine lors de la terrible inondation, accompagnant une association porteuse de dons aux victimes. Il en a rapporté des santons provençaux, comme rescapés dans les décombres, maintenant intégrés à la crèche de Petit-Landau. Prière à la mémoire des victimes ? Milo se défend d'intervenir dans le champ de l'enseignement religieux, ceci relève du catéchiste et du prêtre.
Tous les objets sont étiquetés de façon à ce que l'on puisse savoir d'où ils proviennent et ce qu'ils signifient. A la crèche du soldat allemand, catholique, il a ajouté un chandelier à sept branches, « symbole de la religion juive ». A côté, il a réalisé une vraie mosquée en volume, sur fond peint de paysage du Maghreb. Il est bouleversé quand le moment vient d'en parler : « J'étais à la Guerre d'Algérie, et j'ai des souvenirs très forts de ce pays. Nous avions un interprète algérien qui m'a dit, un jour, si tu le souhaites, je te montrerai une mosquée et tu verras comment nous pratiquons notre foi. Bon, c'était la guerre, on ne savait pas trop où cela nous mènerait, mais j'ai voulu répondre à l'invitation. Nous avons composé un convoi bien armé et nous sommes partis avec l' interprète. Devant la mosquée, ce monsieur était transformé, ils sont croyants et cela m'a profondément marqué. J'étais gêné, en tant que catholique, avec mon fusil et lui ai dit que je ne me sentais pas le droit d'entrer. Il m'a dit, tu la fermes, tu enlèves tes chaussures et tu me suis. A l'intérieur deux hommes priaient. Il m'a expliqué les cinq prières qui ont chacune un nom différent, par exemple comme l'angélus chez nous. Il m'a emmené ensuite au sommet du minaret, qui vacillait pendant que nous montions. » Encore plus ému, il poursuit : « Par la suite j'ai réalisé que cette rencontre devait se faire, elle était inscrite dans mon histoire. Alors, j'ai mis dans la crèche les juifs et les musulmans avec les chrétiens, pour globaliser les trois religions. Si elles parvenaient à s'entendre, nous n'aurions plus de guerre ».
Figure 7 : de gauche à droite, la mosquée algérienne, le palais de Hérode, une scène de marché en Afrique du nord
Figure 8 : entrée de la mosquée
Figure 9 : scènes de marché et de vie domestique en Algérie
Figre 9 b
La crèche du soldat allemand, qui fut en son temps dramatique un acte de paix, est aujourd'hui le manifeste de Milo en faveur d'un monde sans guerre.
« En face », sur les collines allemandes qui sont l'autre rive du Rhin, j'ai trouvé au musée de Bamlach, quelques jours plus tard, une crèche de dimensions plus modestes. Elle fait écho à celle du soldat allemand cantonné à Petit-Landau au message embelli et élargi par Milo. Cette autre crèche est entièrement faite de débris de guerre : bétons de bunkers explosés, fils barbelés, lame de poignard. Les mots « Guerre » et « Paix » sont eux-mêmes tordus dans un métal dont on préfère ne pas chercher à savoir ce(ux) qu'ils ont tué(s). La Sainte Famille s'abrite sous un surplomb du chaos, un souterrain. Cette crèche tragique nous touche, mais elle n'a pas trouvé son Milo pour y faire parler la victoire de la vie et la possibilité d'un espoir.
Figure 10 : crèche de Bad-Bellingen, conservée au musée de Bamlach
Noël est arrivé et j'ai accompagné la visite des pensionnaires de la maison de retraite pour découvrir cette crèche dont Milo m'avait si bien décrit les intentions. Je vous rapporte de cette visite quelques tableaux en recommandant, à ceux pris d'une envie enfantine de voyager dans le merveilleux , d'aller la voir… et de laisser quelques mots dans le livre d'or.
Figure 11 : le carillon sonne au clocher, tandis qu'au premier plan les moutons défilent sous la garde d'un bon berger.
Figure 12 : les scieurs de bois à l'œuvre, imperturbablement sur la même bûche, par bonheur on ne les paie pas dit M. Emile Escher aux visiteurs, car leur rendement est faible!
Figure 13 : l'atelier de Joseph le charpentier s'enrichit d'une enclume et d'une forge. Le père de M. Emile Escher était charron et aubergiste. Sur Joseph voir : un St Joseph syncrétique.
Figure 14 : M. Emile Escher prend l'exemple du compas de Joseph, réalisé avec une baguette récupérée lors d'un repas au restaurant chinois, pour illustrer que l'on peut tout faire avec rien. Question d'idées et de patience.
Figure 15 : Alors que 70 ans sont passés, Petit-Landau ne manque aucune occasion d'exprimer sa reconnaissance au village de Labouheyre qui l'a généreusement accueilli lors de l'exode de la population dans les Landes en 1939.
Figure 16 : On ne réalise pas tout le travail qu'ont les pères noëls : réception du courrier, fabrication des jouets, expédition et livraison. Sur une draisine deux pères noëls n'arrêtent pas de faire la liaison entre les services administratifs et la production. Les convois de rennes et d'âne distribuent les cadeaux dans la ville illuminée (à droite) et se dirigent vers le village de montagne.
Figure 17 : le village de montagne
Figure 18 : la cascade aux oiseaux chanteurs alimente la roue à aubes
Figure 19 : la cigogne n'arrive plus à suivre du regard la course effrénée du canard dans l'étang aux oiseaux.
Voir également sur Youtube (Janvier 2014):
Triste épilogue
Depuis la rédaction de cet article (2009), Milo et moi échangeons régulièrement de nos nouvelles, à l'occasion des fêtes de fin d'année. Celles de Noël 2021 sont tristes. "Personne n'a rien demandé" à Milo cette année et la crèche de Petit-Landau se réduit à présent à la crèche primitive, encadrée par deux sapins.