Les 3 K de la maison à Gommersdorf
Kachelofa, Kammer, Kuchi -le poêle, la chambre, la cuisine- définissent la structure de la Stube et ses rapports aux fonctions essentielles de l'habitation. Cette pièce est aussi l'interface entre la cellule familiale et la communauté de village.
"Kachelofa, Kammer, Kuchi" , mon expérience de la Stube de Gommersdorf
C’était en hiver 1983/1984. Les charpentes des trois maisons de Sternenberg, Schlierbach et Hagenbach étaient achevées en même temps, toutes trois coiffées de leur sapin rituel, après pour celles de Schlierbach et Hagenbach un rude travail hivernal sur la lande battue et rebattue par le vent du nord.
C’était un grand moment pour l’équipe du musée, Guy Macchi et François Wurth en parlent encore avec beaucoup d’émotion : cette rue et son enfilade de pignons qui définit nos villages, étaient enfin présentes dans le musée.
Figure 1 : les trois sapins sur les charpentes de la rue du Sundgau à l’Ecomusée d’Alsace en hiver 1983/84 ; au premier plan la maison de Sternenberg que nous visiterons dans cet article.
Dans cette phase majeure de la formulation du concept de l’Ecomusée d’Alsace, il m’importait de définir la maison en tant qu’objet grégaire, sous-ensemble d’un groupe dont l’expression spectaculaire est la rue, scandée par la répétition des pignons.
Nous avions imaginé que nos futurs visiteurs, à partir de ce point, seraient amenés à comprendre la maison comme le cadre de la vie et de l’économie familiale, certes ; mais un cadre obéissant à un schème répétitif, tant dans son organisation interne que dans son rapport à l’espace public et aux maisons voisines.
Figure 2 : plan de situation de la stube de la « maison du bas » que j’ai habitée à Gommersdorf de 1972 à 1982
Ce parti de présentation et d’organisation des objets répondait à un modèle dont j’avais pu m’imprégner à loisir: moins par le parcours et l’inventaire à travers tant de maisons et tant de rues, que par le spectacle que j’avais tous les jours depuis la fenêtre sur cour de la Stube de la « maison du bas » à Gommersdorf, tel que je l’ai dessiné une après-midi d’orage il y a trente ans.
Figure 3 : ce que je voyais depuis la fenêtre de ma Stube de Gommersdorf les après-midi d’orage en été
En face, la façade arrière de la maison voisine, et de l’autre côté de la rue la maison de la famille Camille Nass, puis plus loin les deux pignons à l’alignement un peu désarticulé de la maison de 1682, démontée longtemps plus tard pour être remontée à l’écomusée, et la maison de M. Alex Haennig.
Un des tous premiers visiteurs de notre maison m’avait donné une clef symbolique de la maison alsacienne, en s’extasiant « il n’y a rien de plus beau que d’être dans une maison alsacienne et de voir une autre maison alsacienne par la fenêtre ! ». Ces quelques mots disaient toute cette fluidité des rapports dedans-dehors , où tout semble se donner à voir, dans un idéal de la reproduction en miroir et à l’infini de la même norme.
J’avais donc le modèle et les rapports d’échelle du bâti et du non bâti bien en tête quand j’eus la chance de pouvoir planifier cette rue de l’écomusée en 1983. J’avais aussi mon expérience de la Stube, qui n’était pas faite que d’enquêtes et de relevés avant démontage. En fait, quand on était familier du Sundgau, on était souvent reçu à la cuisine pour le café-schnaps. Dans la plupart des cas, la Stube était déjà devenue une « salle à manger » tenue impeccablement propre et rangée, réservée aux grands occasions.
Mon expérience personnelle, en groupe ou en famille, de vie dans la Stube de Gommersdorf était donc, dans les années 1970, déjà largement anachronique. Mais ce choix s’imposait car la Stube était, dans la « maison du bas », le seul endroit vraiment habitable et chauffable.
En effet le rétablissement par mes soins d’un Kachelofa adossé dans la Stube avait entraîné la réouverture des bouches d’alimentation et de sortie de fumée de l’ancien poêle. Des fragments de celui-ci avaient été trouvés au grenier.
Figure 4 : fragments du Kachelofa début XIX ème siècle de la « maison du bas » à Gommersdorf
Plus tard je pus démonter à Diefmatten un poêle complet de même facture que ces fragments de Gommersdorf.
Nous avons l’avons remonté dans la maison de Rumersheim à l’Ecomusée début 1984. A ce moment je ne savais pas que nous aurions plus tard l’opportunité de remonter une maison originaire de Gommersdorf, dans lequel il aurait été mieux placé.
Figure 5 : poêle provenant de Diefmatten remonté dans la Stube de la maison de Rumersheim à l’Ecomusée d’Alsace
Figure 6 : coupes sur la « maison du bas » à Gommersdorf, relevé avant travaux (1972)
Le dernier habitant de la maison, célibataire, profitait de même de cette unique pièce chauffée, puisqu’il y avait placé son lit. Ce détail mis à part, cette Stube était conforme en tous points à la plupart de celles que j’ai pu voir, en son temps, à Gommersdorf, c'est-à-dire refaite et mise aux normes de confort au début du XXe siècle.
Sur le relevé de la maison telle que nous l’avons trouvée en 1971, on voit courir un lambris en bois autour de la pièce, à mi-hauteur, qui était de couleur brunâtre.
Les solives du plafond étaient coffrées d’un entourage de poutres rabotées. Toute la nuit, c’étaient de folles courses de souris dans les espaces libres entre solives et coffrages, une caisse d’amplification idéale pour rendre le bruit des pattes de ces bestioles tout à fait insupportable. Il fallait avoir à portée de mains un arsenal de manches à balais pour frapper les poutres, et un stock de chaussures à proximité pour les lancer sur le plafond. On y gagnait quelques secondes de répit, parfois assez pour se rendormir jusqu’à la reprise de la cavalcade.
Le chauffage était, comme dans les autres maisons, assuré par un poêle des années 1920, également de couleur brune, un production typique de Hanser à Altkirch revendue par le quincaillier de Dannemarie. Derrière le poêle, une espèce de garde-manger grillagé dans lequel on faisait écrémer le lait dans les Kehrla, des jattes en terre cuite. Dans le même plan, et dans l’angle, comme partout ailleurs, un Kansterla, une armoire à deux corps et quatre portes faite de l’assemblage de deux meubles distincts.
Les travaux de modernisation de la Stube avaient été réalisés consécutivement à la reprise, avant 1914, de la façade sud-ouest, consistant en la suppression du balcon à l’étage et le remplacement du pan de bois du rez-de-chaussée par une maçonnerie de briques. Comme ailleurs dans le village, ces travaux étaient plus ou moins conséquents de l’arrivée de l’électricité, en 1905, qui avait évidemment changé le rapport à la lumière et instauré un besoin de netteté. A l'instar de beaucoup d’autres maisons, tout souci décoratif était absent –mais c’était aussi le ton de l’habitation en général à cette époque.
Nous avons gardé cette Stube à peu près telle quelle, en l’ « écoalsacianisant » un tout petit peu. J’ai remplacé le poêle Hanser par un Kachelofa adossé au mur et chauffé depuis la cuisine, comme c’ était le cas à l’origine, et j’ai remis la table dans l’angle éclairé par les deux fenêtres, celle de la rue et de la cour. Michel Durst , en quête de réinvention d’un style alsacien pas ringard et joyeux, conçut une série de personnages, humains et animaux, reproduits au pochoir et qui couraient sur les boiseries, placard et portes.
Le plancher soigneusement ciré et lustré chaque jour était notre fierté. Nous voulions montrer aux visiteurs que ces maisons étaient parfaitement habitables, et n’étaient sales que… si on ne les nettoyait pas. Ce n’était pas tellement évident que cela pour tout le monde.
Figure 7 : le Kansterla (buffet) de la Stube de la « maison du bas » à Gommersdorf et un aperçu des dessins au pochoir de Michel Durst (1972)
Avec Béatrice, et mon fils Jean-Baptiste qui y passa ses deux premières années, nous avons vécu dans cette Stube jusqu’en 1983. En partir ne fut pas un arrachement très douloureux car déjà, à l’Ecomusée, tout ce que j’avais appris de cette maison avait nourri l’aménagement, et surtout le discours, de la maison de Sternenberg.
Quand je me faisais guide dans la maison de Sternenberg, à l’Ecomusée d’Alsace…
Lorsque je faisais visiter l’Ecomusée aux groupes les plus divers, je n’avais guère de peine à être crédible dans la visite de l’intérieur d’une maison, grâce à mon expérience de Gommersdorf. Pour cela, je conduisais toujours mes visiteurs dans la maison de Sternenberg, qui était la première à portée de mains et aussi la plus lisible. Suivez le guide…
Figure 8 : la façade d’entrée de la maison de Sternenberg, la fenêtre du bas correspond à la fenêtre de gauche sur la vue suivante.
Figure 9 : la Stube de la maison de Sternenberg telle que l’ont découvert les premiers visiteurs de l’Ecomusée d’Alsace.
J’amenais mes groupes directement dans la Stube. Nous avions aménagé l’intérieur à trois, Guy Macchi pour les enduits et le mobilier, Pierre Spenlehauer pour poêles et four, et moi pour la peinture et les objets. J’ai fait le chaulage intérieur juste avant l’inauguration de juin 1984, baignant dans une saturation de fumée, car il fallait que la maison ait une odeur de maison paysanne, et j’avais besoin de suie pour patiner mes badigeons.
Peu de temps après l’ouverture du musée au public, j’eus la surprise de découvrir une famille en train de pique- niquer à cette table, avec le salami et la bouteille de rouge. C’était un vrai bonheur que de voir que notre tout jeune musée avait aboli la distance entre le visiteur et la muséographie…Un autre visiteur, alsacien, tempêta en raison de la pauvreté du mobilier présenté. Il trouvait inacceptable que l’on montrât ces intérieurs comme ils étaient.
Mais ce n’est pas de cela que j’entreprenais mes visiteurs.
Je leur présentais les deux fenêtres, celle en face de nous donnant sur la rue, celle de droite sur la cour. Ainsi, disais-je, la maison exprime un caractère : elle est faite par des gens curieux de ce qui se passe sur la rue, qui profitent de son spectacle et, aussi, repèrent tous les mouvements suspects. Mais l’autre fenêtre permet d’exercer un contrôle jaloux sur la cour, domaine privé.
J’expliquais alors aux visiteurs que cette configuration reflétait bien l’organisation sociale. En pays d’assolement triennal communautaire, la marge de manœuvre de l’individu est limitée, chacun plante la même chose au même moment, dans la même partie des terres cultivées, la sole. A l’exploitation communautaire du terroir du village correspond le groupement des maisons ; les gens travaillent les uns à côté des autres, et avec les autres, et il en va de même pour les maisons du Sundgau ; de surcroît très ouvertes sur la rue elles sont, autant que les travailleurs des champs, soumises au contrôle collectif. Pour elles, les regards croisés émanent des maisons voisines, de part et d’autre et en face de l’autre côté de la rue.
La faible latitude impartie à l’individu a pour contrepartie une attention jalouse aux limites, d’autant plus que dans le Sundgau elles ne sont guère marquées physiquement, ni dans le terroir, ni dans le village entre les cours privées et la rue publique.
Ceci étant posé, mes visiteurs comprenaient l’aménagement du mobilier, table et bancs, en angle, pour profiter tant de l’éclairage naturel que de la vue sur l’extérieur. Il en résultait la sacralisation de cet angle, par un crucifix, voire une composition plus large telle un autel domestique, le « Herrgottswinkel ». Sur cette photo on devine à gauche la paroi latérale du Kansterla, l’armoire de coin dans laquelle est rangée la vaisselle et le linge de table d’apparat.
Figure 10 : l’angle du poêle de la maison de Sternenberg, avec la porte de la Kammer et la vue sur la Kunscht.
Je faisais alors observer aux visiteurs l’angle opposé à celui des fenêtres et de la table, dans laquelle s’encastre le poêle en terre cuite vernissée, ici un poêle sundgauvien « bas de gamme », à l’ émail à l’étain probablement recuit après une première fournée ratée. Sous la couverte bleue de l’un des carreaux, on distingue du reste un très beau carreau dans sa version première peint d’un personnage conduisant un chameau.
A ce point de la visite, mes visiteurs étaient alors bien imprégnés de l’ambiance de la Stube et je pouvais leur expliquer les grandes lignes de l’évolution du plan de la maison. Je leur demandais d’imaginer au début de notre millénaire (le précédent !) la maison à pièce unique, sans séparation intérieure.
Figure 11 : schéma de la partition de la pièce unique en deux pièces avec feu ouvert et four adossés sur le mur de refend.
Imaginez, leur disais-je, le foyer à feu ouvert, au centre de la pièce. Puis, entre le XIe et le XIII e siècle, on voit de plus en plus souvent un mur venir diviser en deux la pièce unique. Adossé contre ce mur, on trouve souvent un foyer enfermé sous dôme, par exemple un four, puis ce four change de fonction : au lieu de conserver la chaleur vers l’intérieur pour cuire des aliments –tout en participant à l’amélioration de la température de la pièce- , ce four va être piqué de poteries creuses assurant une diffusion de la chaleur vers l’extérieur.
Ainsi naît le poêle, que vous voyez ainsi dans cette maison du XVIIIe s. présentée dans son état d’occupation vers 1900, au même endroit que le feu ouvert primitif, enfermé dans une paroi épaisse, puis plus fine pour diffuser la chaleur.
A ce moment là, l’évolution majeure de la maison est aboutie : la séparation entre une pièce à foyers et fumées, la cuisine, et la chambre chauffable, la Stube.
Figure 12 : quelques noms de la Stube, à travers l'Europe
Je parlais ensuite de la racine du mot Stube, commune à celle des mots qui désignent dans toute l’Europe centrale et septentrionale la même chose, une pièce chaude distincte de la cuisine, chauffée par un foyer enfermé, une aire immense dont l’Alsace est l’extrémité occidentale.
Cela me permettait de dire à mes visiteurs que cette maison alsacienne, dont ils venaient peut-être rechercher l’« authenticité » à l’écomusée n’existe pas : c’est une forme de maison d’Europe germanique, slave, nordique, qui se définit davantage par un mode de vie que par des matériaux et des styles de construction, et que l’on ne peut qualifier d’alsacienne que par opposition aux régions limitrophes françaises où déjà s’annoncent des organisations océaniques ou méditerranéennes. La même racine ne veut plus dire exactement la même chose en français (« étuve ») et en anglais : dans cette langue le mot stove désigne le poêle, et non la pièce. Inversement dans les régions lorraines et comtoise limitrophes, on nomme poêle la chambre chauffée.
Nous jetions ensemble un coup d’oeil sur la Kammer, ou Stuvakammer. J’expliquais que cette pièce donnant sur la Stube pouvait être séparée de celle-ci par un simple rideau, par un lit-clos, ou par un mur comme c’est le cas dans cette partie du Sundgau.
Cette pièce apparaît à la fin du Moyen-Age, elle correspond à une spécialisation progressive des pièces et en particulier la séparation du couchage des parents de celui des enfants, ces derniers pouvant coucher avec les grands parents dans d’autres pièces. Avant, c’était la Stube, et sans doute la grange et l’étable, qui étaient des lieux de sommeil.
Figure 13 : la Kammer de la maison de Sternenberg, avec son lit provenant de Gommersdorf et sa Kunscht ) à banquettes.
La Kammer vient se loger dans la travée arrière de la maison, en empiétant sur la cuisine et en partageant ainsi un mur commun avec elle ; cette disposition lui permet de bénéficier d’une possibilité de chauffage par récupération de la chaleur de la cuisinière maçonnée située sur l’autre face du même mur. Ici l’appareil de récupération de la chaleur est une Kunscht, bancs en pierres et terre cuite vernissée chauffées par la fumée de la cuisinière, qui y circule par des chicanes.
Cet appareil est parfaitement décrit, comme une invention, en 1571 à Strasbourg, mais sa diffusion aux XVIII-XIX e et début XXe siècles est principalement la Suisse du nord, la Forêt Noire, le Sundgau, et encore pas tout le Sundgau : à Sternenberg, à Gommersdorf, dans l’ouest du Sundgau, on recourait plutôt à de simples plaques en fonte comme on le verra plus loin, quand nous retournerons à Gommersdorf.
Figure 14 : schéma , de la pièce unique au plan de la maison sundgauvienne tel qu’il se généralise à la fin du moyen-âge.
En même temps que la Stube est dissociée , ne serait-ce que symboliquement, du couchage, elle est aussi protégée du froid et préservée dans son intimité par un sas d’entrée, qui dessert la cuisine, au fond, et contient l’escalier d’accès aux pièces de l’étage.
Figure 15 : l’entrée, Husgang, de la maison de Sternenberg ; au premier plan coffre XVIIIe s. décoré de tulipes, provenant de Gommersdorf.
C’est par cette entrée que je continuais la visite vers la cuisine, la « pièce à foyers et à fumée »
Figure 16 : dans la cuisine de la maison de Sternenberg à l’Ecomusée d’Alsace
Sous la pièce sans plancher ni plafond qui forme hotte et fumoir, la Rauchkammer , nous voyons ici la cuisine, en connexion à travers le mur avec la Kunscht de la Kammer, et l’ouverture ainsi que le rejet de fumée du four à pain dont le corps était relégué à l’extérieur.
Après cette visite, mes hôtes avaient les clefs pour visiter de manière autonome n’importe quelle maison du musée, ou alsacienne voire…européenne.
La révision à l’extérieur, sur le pignon de la maison était facile, avec les grandes fenêtres signalant la Stube, le poteau de refend indiquant la séparation intérieure entre la travée de la Stube et celle de la cuisine et de la Kammer, repérable à sa petite fenêtre.
Figure 17 : pignon de la maison de Sternenberg à l’Ecomusée d’Alsace, avec une asymétrie caractéristique des fenêtres, de dimensions variables suivants qu’elles éclairent la Stube ou la Kammer.
Et à l’arrière, le four à pain indiquait la cuisine, en donnant à voir une forme généreuse de ventre enceint logé dans sa propre maison.
Figure 18 : four à pain de la maison de Sternenberg à l’Ecomusée d’Alsace.
La visite se termine, n’en veuillez pas au guide d’avoir fait vite et d’avoir simplifié beaucoup de notions, nous aurons l’occasion de revenir de façon plus approfondie sur les différentes composantes de la maison, que nous sommes limité ici à repérer, à situer rapidement les uns par rapport aux autres.
Vous me demanderez peut-être quelles étaient les réactions les plus spontanées des ? Tous, sans exception, étaient d’abord étonnés par la faible hauteur sous plafond –et encore avais-je un peu triché en abaissant le niveau du plancher lors de la reconstruction-, qu’ils mettaient en relation avec le lit très court (j’avais dormi dans ce dernier sans inconfort pendant 12 ans, et je ne suis pas petit) : "les gens étaient plus petits « à l’époque »" fusait immanquablement de tout groupe de visiteurs.
Cela me permettait de rebondir sur la problématique du chauffage et de la disponibilité en combustible, autrement déterminante pour la hauteur des pièces.
Tous les visiteurs étaient évidemment passionnés par ce que cette maison leur apprenait sur toutes les autres, et sur l’autonomie de découverte et de visite que leur assurait cette introduction.
Je n’ai jamais pu réaliser un dispositif permettant aux visiteurs sans guide de bénéficier de la même introduction ; elle facilitait grandement la vie du public. Mais ce n’est pas facile d’expliquer des choses à la fois aussi simples et aussi complexes, sans être simpliste ou pédant.
Dans la visite interactive, on peut solliciter les objets, les faire parler en s’adaptant à la culture et au vocabulaire de chaque visiteur. On peut rester très simple et basique, mais aussi se lancer dans de grands développements et faire valoir beaucoup de nuances si l’intérêt et le sens critique des hôtes sont au rendez-vous. C’est beaucoup plus difficile de traduire cet échange en exposition ; une telle exposition aurait introduit une distance entre cette habitation ancienne et les gens d’aujourd’hui.
Pendant les visites que j’assurais, j’étais ému de voir comment ils arrivaient à se transposer dans les conditions de vie anciennes et à réfléchir à partir de cela. J’ai eu l’un ou l’autre visiteur « de marque » et de responsabilité mondiale, qui savaient que leurs lointains ancêtres habitaient, dans ce coin de l’Europe, de telles maisons. Leur émotion était immense car, souvent âgés, ils découvraient ici la maison d’une enfance qu’ils n’eurent jamais, et qui pourtant était la réponse à tant de questions sur eux-mêmes, enfouies, qu’ils arrivaient enfin à formuler.
Figure 19 : un volet de la maison de Sternenberg, cœur des visites guidées que j’ai assurées à l’Ecomusée d’Alsace.
De la même façon, je suis infirme de cette maison dans laquelle j’ai eu tellement, tellement d’échanges avec de gens de tous pays et de toutes générations. Je suis amputé de ma langue car cette maison était mes mots, et je suis privé de l’extrémité de mes doigts qui, pendant que je me concentrais pour parler, me rechargeaient à tout instant de la chaleur de la table, de la terre cuite du poêle à l’endroit du chameau, de la poignée de la porte du four à pain, du siège en pierres de la Kunscht…toutes chaudes même en plein hiver comme si mon expérience de la Stube y était à chaque fois rechargée par ce que je partageais avec mes hôtes…et ce pendant 22 ans.
J’ai plus longtemps « habité » cette maison de Sternenberg par la parole qu’aucun de mes « vrais » logements… et n’y ai jamais apporté le moindre changement pendant tout ce temps, en refusant au grand dam de nos guides que l’éclairage électrique y soit installé afin de laisser faire la lumière naturelle.
Retour aux Stube de Gommersdorf
L’implantation de la Stube est définie par la direction de la rue, mais réciproquement la rue est orientée de façon à ce que les Stube, si l’on peut se permettre l’expresison, puissent s’y raccorder. Les 3/4 des maisons de Gommersdorf sont orientées perpendiculairement à la rue, le quart restant étant parallèle à la rue.
Dans le cas des orientations perpendiculaires à la rue, les façades d’entrée sont toujours offertes rigoureusement au sud-ouest, du moins dans le village bas. De ce fait les pignons sur rue sont orientés sud-est ou nord-ouest.
Compte tenu de l’inflexion pris par la rue dans le milieu du village, et pour rester perpendiculaires à la rue, les façades s’écartent de quelques degrés vers le sud dans le village haut…Le village bas étant la partie ancienne du village, il semblerait que l’orientation de règle soit la façade au sud ouest ; cette règle est aménagée dans l’extension du village au XVIIIe s. pour respecter la contrainte encore plus forte de la perpendicularité par rapport à la rue.
Cette orientation déterminait des galeries sur la façade, en encorbellement ou en loggia, c'est-à-dire en retrait du ni du mur de l’étage et appuyée sur des poteaux en rez-de-chaussée. Lorsqu’elles sont en encorbellement, ces galeries protègent le mur du rez-de-chaussée des pluies battantes. Pour le coup, ce sont les galeries qui subissent les assauts des pluies, et la majorité d’entre elles a disparu.
Le vocabulaire désignant les pièces est très précis. Voici comment le définit M. Alex Haennig dans sa propre maison:
La Stube, en francais la chambre, sur laquelle donne la Kammer. Après se trouvent le Hussgang et la Kuchi. On ne mangeait jamais dans la cuisine, toujours dans la chambre (stube). La chambre arrière qui donne sur Hussgang est Kleinistuva, car elle est parfois agencée en lieu de séjour –c’est la « Stube froide » décrite par les documents de la fin du moyen-âge sur lesquels on reviendra peut-être ailleurs-. la pièce arrière qui donne sur la cuisine est kuchikammer.
Au-dessus les dénominations se répètent, avec Everstuva, stube du haut où dormaient le père et la mère, Everkammer, etc… La Rauchkammer a été remplacée ici par une chambre, Neikammer.
Les normes rigoureuses d’orientation de la Stube s’appliquent-elles aussi à ses dimensions ?
On a pris en compte ci-après les dimensions des 4 cellules constituant le noyau de la maison, sur un échantillon de 7 maisons, 4 de la décennie 1680, deux du XVIIIe siècle, une du milieu du XIX e siècle.
La moyenne s’établit comme suit :
Stube : 22,35 m2 (38,5% de la surface de l’unité)
Kammer : 10,50 m2 (18,5%)
Cuisine : 14,75 m2 (25%)
Entrée : 10,20% (17,5%)
Si l’on mesure les écarts entre les pièces les plus petites et les plus grandes d’une catégorie, on constate que la pièce la moins compressible est la cuisine (écart de 1 à 1,24), et celle sur laquelle on sacrifie le plus facilement est la Kammer (écart de 1 à 1,43). La Stube et l’entrée sont entre ces deux extrêmes, avec un rapport de 1 pour la plus petite à 1,34 pour la plus grande.
Le hiérarchie et la force de la norme collective appliquées à ces cellules apparaît nettement si l’on convertit leur longueur et largeur en pieds. Les murs des entrées présentent les plus grandes variations de cotes et de proportions : de 8 à 16 pieds, suivis par ceux des cuisines, de 12 à 16 pieds. Les standards se réduisent pour les Kammer : de 9 à 12 pieds, et encore davantage pour les Stube, de 16 à 18 pieds. L’obligation pour celles-ci d’un plan carré (le rapport longueur/largeur n’est jamais supérieur à 10%) ,et d’une surface constante d’une maison à l’autre, détermine tout le reste de la composition du noyau de la maison : on s’arrange du terrain et du budget comme ils sont, les dimensions et proportions des autres cellules ont une importance secondaire par rapport à elle de la Stube. Le statut de la Stube comme matrice répétitive de la maisonnée en elle-même et en Gommersdorf se vérifie à travers ce sondage.
Eros aux foyers ?
J’ai évoqué plus haut la Stube et la cuisine de la maison du bas à Gommersdorf (cotée 7i dans les publications), et pour laquelle j’ai publié dès 1974 (bibliographie N° 1.6) la découverte du système de chauffage de la Kammer. Construite en 1754, la maison ne comportait pas au départ de système de chauffage de la Kammer. C’est nettement a posteriori que le mur entre la cuisine et la Kammer a été percé d’une ouverture voûtée en anse de panier, dans laquelle était insérée une plaque en fonte. La face décorée, tournée vers la Kammer, portait la date 1778. Côté cuisine, il est impossible de dire si cette plaque était en contact au départ avec un foyer à feu ouvert ou avec une cuisinière maçonnée. C’est en tout cas un système rudimentaire, mais efficace, qui a sur la « Kunscht » le seul avantage de ne pas être encombrant. Inconvénient, la surface de diffusion est bien inférieure, il n’y a pas de masse accumulant la chaleur et on n’a pas le bénéfice de pouvoir s’asseoir sur le siège chauffé. Ce dernier point est peut être un indice sur un mode d’utilisation de la Kammer qui n’est peut être pas le même en zone d’utilisation de la Kunscht qu’en zone d’utilisation de la plaque ici en fonte (mais dans le tout proche Hagenbach, on en a trouvé en terre cuite vernissée)
Selon les informations obtenues dans le village au moment de cette découverte, toutes les plaques –il y en aurait eu dans chaque maison- étaient datées des mêmes décennies 1770-1780. Outre un besoin nouveau en termes de confort, cela révèle en même temps le problème et sa solution. Ces décennies, et les deux ou trois qui les précèdent, sont une période de pénurie du combustible, fortement concurrencé par l’industrie… et notamment l’industrie métallurgique qui concerne d’assez près la proche région, puisqu’un des centres importants de fonderies est dans le comté de Belfort.
Ces forges produisent des plaques en fonte, taques de cheminée ou de poêles qui se diffusent très largement dans ce dernier tiers du XVIIIe s. car elles présentent sur la terre cuite l’avantage non négligeable de faire radier la chaleur sans la longue accumulation –et en conséquence dépense d’énergie- nécessitée par les poêles en terre cuite maçonnés.
Sans surprise, nous avons trouvé un dispositif similaire en 1986 lors du démontage de la maison de 1682 remontée à l’Ecomusée (maison cotée 4E dans les publications).
Figure 20 : mur commun à la cuisine et à la Kammer dans la maison de 1682 à Gommersdorf (in situ, 1986), avec plaque de chauffage datée 1789.
Côté Kammer, on voit apparaître la face décorée de la plaque en fonte, portant deux fûts de canon, la date 1789 et trois vases contenant chacun une rose. On constate que le dispositif a été conservé bien que la maçonnerie du mur ait été reprise en briques de ce côté (avant 1929, date d’abandon de la maison)
Figure 21 : cuisine de la maison de 1682 à Gommersdorf, au fond niche à double paroi de briques sur chant et fonte dans laquelle circule la fumée chaude de la cuisinière maçonnée.
Côté cuisine, il semble que la fumée chaude de la cuisinière maçonnée vient circuler entre la plaque et son doublage en briques roses sur chant, l’échappement de la fumée se faisant sous l’arc. La fumée rejoint ensuite la Rauchkammer (fumoir) sans conduit.
Dans la « maison du haut », construite en 1841, (cotée 1C dans les publications), un dispositif similaire a pu être relevé, bien conservé sous les enduits récents. On voit clairement que le dispositif a été conçu dès le départ en complément d’une cuisinière maçonnée, dont la fumée chaude est conduite entre la plaque et son doublage en briques par deux prises au plus haut de la cuisinière.
Figure 22 : murs de la cuisine de la « maison du haut » à Gommersdorf relevés après mise en évidence des anciens foyers.
La plaque avait ici été récupérée avant les travaux de modification des foyers. Il en est allé de même dans la « maison du tisserand » (cotée 3A dans les publications) où le système était également bien conservé sous les enduits récents. Le relevé montre que la porte de communication entre la cuisine et la Kammer a été percée ultérieurement, ce qui était également le cas dedans la « maison du bas » de 1754.
Figure 23 : relevé des foyers de la « maison du tisserand » à Gommersdorf, après dégagement des enduits récents
Figure 24 : relevé des foyers de la « maison du tisserand » à Gommersdorf, après dégagement des enduits récents
Cette même maison allait , lors de travaux dans la Kuchikammer, c'est-à-dire la souillarde donnant sur la cuisine, livrer d’autres informations sur le chauffage et la Stube.
Devant reprendre des éléments en sous-œuvre et décaisser le sol pour poser le solivage d’un nouveau plancher, j’ai procédé à une fouille archéologique que j’ai publiée (bibliographie 1.14). Ce qui nous intéresse ici n’est pas la fouille, encore qu’elle indique que le site était construit au bas Moyen âge, mais n’ pas livré d’indices d’occupation antérieure. Certains éléments du mobilier nous concernent davantage ici : il s’agit de trois fragments de céramiques de poêle différentes, informations sur lesquelles Gommersdorf est tellement avare (si ce n’est, plus haut, les traces du Kachelofa de la maison du bas).
La fouille a livré différents fragments de pots de poêle, dont un modèle galbé, vernissé vert à l’intérieur(figure 25).
Figure 25 : fragment de pot de poêle, vernissé vert à l’intérieur, fouilles de la « maison du tisserand » à Gommersdorf.
Cette forme de céramique de poêle est bien connue des archéologues. Elle correspond à un état du développement du poêle que l’on a longtemps qualifié d’archaïque, et elle peut être utilisée de différentes façons :
Soit l’ensemble du poêle est construit en corps creux, assemblés en dôme sur une base plus ou moins parallélépipède. La mise en œuvre des céramiques s’effectue alors tête-bêche, avec peu de matière de liaison entre les pots.
Figure 26 : j’expérimente en 1996 à l’Ecomusée d’Alsace la reconstitution d’un poêle en pots.
Après cet essai, nous avons décidé avec Jean-Jacques Schwien de construire un poêle à l’écomusée, dans le but de le mettre en chauffe et de le soumettre à des mesures thermiques. Les archéologues se posaient beaucoup de questions sur la technique de construction, la durée dans le temps d’un tel appareil et bien sur son rendement calorifique.
La réalisation du poêle fut assurée bénévolement par Pierre Spenlehauer, ce devait être en 1998. Le résultat obtenu par le maître fut superbe.
Dès sa mise en chauffe, il était évident que la plus évidente qualité de cet appareil était, grâce à la minceur de sa peau et à l’augmentation de la surface de radiation par les corps creux, de dégager une chaleur immédiate avec très peu de combustible.
De là à qualifier ce poêle de non pas archaïque, mais remarquablement élaboré et adapté aux périodes de faible disponibilité en combustible –ce qui est semble-t-il le cas de la période de diffusion maximale de cette forme de poêle, XIIIe, première moitié du XIV e siècles-, il n’y a qu’un pas que je franchis avec allégresse, pour hypothèse de travail.
Figure 27 : le poêle médiéval reconstitué dans la maison de Hésingue à l’Ecomusée d’Alsace par Pierre Spenlehauer (vers 1996).
La construction de ce poêle a été nourrie par les enseignements des fouilles récentes, et par une représentation d’autant plus archi-connue qu’elle est l’une des très rares sur le sujet.
Figure 28 : représentation d’un poêle en pots dans le manuscrit de Constance vers 1319-1320.
Si l’illustration a été reproduite maintes et maintes fois, son commentaire d’origine, passé inaperçu, est rappelé par Eric Landgraf (1999) qui cite, selon la traduction de J .P. Minne, le commentaire de cette image du Manuscrit de Constance (1319-1320) le propos prêté à la femme alanguie : « je me repose telle une truie paresseuse, derrière le poêle je me sens bien ».
Gardons à l’esprit ces propos, précieux pour la suite.
Une autre manière de mettre en œuvre le pot de poêle est de l’insérer, de le piquer, dans une masse, comme ceci apparaît sur ce poêle hongrois
.
Figure 29 : Hongrie, poêle-masse comprenant des inclusions de pots de poêle très proches du modèle de la figure 25
Ce système outre la simplicité de sa mise en œuvre, peut concilier deux objectifs : obtenir une masse d’accumulation –et l’on peut admettre dans cet exemple qu’elle serait suffisante pour permettre l’usage de l’appareil en tant que four à pain- et en même temps bénéficier d’une radiation immédiate d’un peu de chaleur.
Le deuxième fragment de céramique de poêle révélé par la fouille de la Kuchikammer de la « maison du tisserand » est peut-être contemporain du premier, en tout cas de la 2 e moitié du XVe siècle ou du début du siècle suivant.
Figure 30 :fragment de carreau de poêle, vernissé vert, aux armes de l'Empire, fouilles de la « maison du tisserand » à Gommersdorf.
Il s’agit d’un fragment d’un carreau de poêle vernissé vert portant les armes de la Maison d’Autriche, couronné, tenu par un animal dont on aperçoit les griffes.
Figure 31 : fragment d’un carreau de poêle, vernissé brun, au motif de grenades, courges, poires, fouilles de la « maison du tisserand » à Gommersdorf.
Ce fragment d’un carreau à glaçure brun-violacé (manganèse) de belle facture, porte en relief une composition de fruits centrés sur une grenade. Il pourrait être situé dans le premier tiers du XVIIe siècle. La grenade renvoie à une symbolique d’abondance, de fécondité et de postérité nombreuse, interprétée par le christianisme comme une représentation de l’Eglise (la multitude des peuples unis dans une même foi) et des perfections divines dans leurs effets innombrables.
C’est aussi un motif décoratif caractéristique, typique dans nos régions de la Renaissance et que l’on trouve assez régulièrement dans l’architecture profane tout au long du XVIIe siècle. Très perméable aux modes et aux styles, le décor du carreau de poêle ne pouvait que décliner ce motif, ainsi que le montre le fragment d’un poêle de Courtavon.
Figure 32 : montage sur grille d’un ensemble de carreaux décorés au pochoir du motif de la grenade, provenant de Courtavon (don Spenlehauer à l’Ecomusée d’Alsace)
Néanmoins, j’ai pu observer que le paysan, l’artisan, quand ils puisent dans le vocabulaire ornemental de leur temps, sélectionnent les motifs qui se rapportent consciemment ou non à leur tradition propre, à leur système de représentation symbolique, voire à leurs pulsions émotionnelles et vitales. Le thème de la grenade me paraît avoir été une référence au moins aussi littérale que symbolique au sexe féminin.
Figure 33 : empreinte positive d’un moule à gâteaux du XVIIe siècle.
Cette empreinte de moule à gâteau fin XVIIe siècle représentant une femme se chauffant les fesses à un poêle décoré d’une grenade est on ne peut plus explicite, et n’est sans doute pas simplement anecdotique. Le thème lui-même est aussi ancien que le poêle.
Figure 34 : détail d’une illustration du livre de prières de Martin Luther, Hans Beham, 1527
L’association de la figure paillarde de la femme réchauffant ses fesses et du motif de la grenade ouvre un large camp d’interprétation psychanalytique. Le poêle, feu enfermé, est métaphorique de la psychologie ancienne qui définit la sexualité féminine comme un feu intérieur, par opposition à la flamme ardente et visible du feu masculin. L’image, polysémique, nous montre bien une érotisation du poêle, en même temps qu’il nous donne à voir un procès alchimique : à travers la double peau humaine et de métal (il s’agit d’un poêle en fonte) les « principes » masculin et féminin fusionnent et produisent l’ouverture féconde de la grenade.
En questionnant cette image, j’essaie de comprendre si dans la pensée ancienne et dans la répartition de l’espace de la Stube qui interagissait avec elle, le poêle était un objet sexué, nommé et identifié comme tel. Et si tel était le cas, comment cet élément sexué s'articulerait avec les autres éléments de la Stube.
La Stube est en effet structurée par une triple polarité. La maisonnée se réunit à la table, dont on a vu qu’elle est sacralisée par l’angle cassé par le crucifix, et qu’elle est un échangeur, lieu d’inscription dans la vie sociale, grâce à l’emplacement invariable des deux fenêtres d’angle.
Le second pôle est l’indication de la couche conjugale, porte, lit-clos ou alcôve. Le troisième pôle est le poêle, qui est d’une certaine façon l’excroissance dans la Stube des feux du domaine féminin qu’est la cuisine.
La documentation sur les codes comportementaux anciens dans la Stube est pour l’instant légère, et encombrée de lieux communs tels des allégations sur la présence ou non des femmes à la table pendant les repas. Ces codes ont existé, mais nous ne pouvons qu’en supputer les règles. En tous les cas, ce que j’ai pu observer de la Stube à Gommersdorf ne porte pas de traces d’une spécialisation et d’une qualification des pôles de cette pièce, dont la centralité n’était pas ou plus affirmée en 1971.
Contrairement à l’image donnée par la Stube de la maison de Sternenberg à l’Ecomusée –et qui pourtant correspond à une réalité aussi- ,la Stube de Gommersdorf a perdu sa fonction d’échangeur entre la communauté domestique et la communauté de village.
La centralité de la table dans la pièce, autour de laquelle on peut tourner librement contrairement à l’ancienne table de coin, le dit : la famille s’est autocentrée sous le luminaire électrique.
Le poêle est devenu un appareil autonome, détaché du ventre de la maison. Le changement radical des fonctions et des symboles de la Stube s’est amorcé très tôt au XXe siècle. La question n’est pas tant de savoir quels ont été les moteurs internes de ce changement, mais pourquoi il n’a pas eu lieu ailleurs, par exemple dans l’est du Sundgau ou dans le Jura où des structures anciennes sont restées en place une à deux générations plus tard, dans des villages où la communauté paysanne n’avait plus la dynamique et les solidarités toujours actives à Gommersdorf.
Marc GRODWOHL
(janvier 2007)
ANNEXE 1: RELEVE DES DIMENSIONS DES CELLULES CONSTITUANT LE NOYAU DES MAISONS DE GOMMERSDORF