Noël, St Nicolas et sorcières à l’écomusée en 2024 , un naufrage culturel (1)
Nous lisons dans le quotidien « L’Alsace » de ce jour 10 décembre 2024 un compte rendu de l’animation « St Nicolas » à l’écomusée d’Alsace. Notre propos n’est pas de dénigrer celles et ceux, en grande partie bénévoles, qui se dévouent pour enchanter ce lieu, plus un décor qu’un musée à vrai dire. En effet, voici la définition actuelle du musée par l’ICOM (Conseil international des musées) : “Un musée est une institution permanente, à but non lucratif et au service de la société, qui se consacre à la recherche, la collecte, la conservation, l’interprétation et l’exposition du patrimoine matériel et immatériel. Ouvert au public, accessible et inclusif, il encourage la diversité et la durabilité. Les musées opèrent et communiquent de manière éthique et professionnelle, avec la participation de diverses communautés. Ils offrent à leurs publics des expériences variées d’éducation, de divertissement, de réflexion et de partage de connaissances.” Pas sûr que l’écomusée d’Alsace coche actuellement toutes les cases, mais est-il seul dans ce cas ? Assurément non. Voyons ce que la presse relate.
« Ce dimanche 8 décembre, l’écomusée d’Alsace à Ungersheim a accueilli 2000 visiteurs. Beaucoup d’entre eux ont assisté à l’arrivée de saint Nicolas, à la nuit tombée, dans sa barque, éclairée par quelques lumières, glissant sans bruit dans l’obscurité sur fond d’une douce musique. Il a accosté à l’embarcadère de Gommersdorf en compagnie de ses deux hallebardiers et deux pages, du garde suisse et du porteur d’étoiles, tous parés de magnifiques habits. »
On ne met pas en doute la qualité visuelle de cette arrivée théâtrale, mais on s’interroge sur ce que les responsables de cela veulent dire au public. S’agit-il de montrer comment, en général, se déroulait le passage de St Nicolas dans feu la société villageoise ? Dans cette hypothèse, le spectacle est à contresens. Le couple St Nicolas/Hans Trapp est furtif, discret comme il sied à des apparitions. Il vient de nulle part et chemine de maison en maison, avec son âne, et joue de l’effet de surprise : arrivée attendue des enfants et cependant anxieuse. Certains se réfugient sous la table ou le kachelofa, pas certains d’avoir été suffisamment sages durant l’année écoulée. La frayeur fait partie du jeu. Et c’est un rituel domestique, familial (le couple incarne les parents et au-delà, les ancêtres) et pas un rituel collectif. L’arrivée spectaculaire sur une barque, flanqué de hallebardiers, garde suisse (est-ce le Suisse de l’église du village ou un garde suisse du Vatican ?), d'un porteur d’étoiles ( !) et de pages ( !) est donc diamétralement à l’opposé d’une tradition familiale et intimiste.
On peut évidemment interpréter des éléments traditionnels, encore faut-il en comprendre et respecter le sens, à défaut en proposer une interprétation argumentée, et remettre ces éléments (toujours fragmentaires) en contexte historique, avec un minimum de recul et de méthode ethnographique.
Poursuivons la lecture du compte-rendu.
« Accueilli par des villageois du musée, toujours accompagné par son aéropage et traversant la foule qu’il saluait sur son passage, le légendaire évêque de Myre s’est rendu à la Tour forte pour y retrouver le terrifiant Hans Trapp. Là ce dernier vêtu de [incompréhensible/erreur typographique] a fait allégeance à saint Nicolas et l’a suivi sur les chemins du village dont plusieurs maisons étaient enveloppées de volutes colorées. Ils se sont arrêtés devant l’école où la maîtresse et les élèves l’attendaient ».
Encore des contresens. St Nicolas et Hans Trapp (père fouettard) sont les deux faces d’une même figure, qui ne fonctionne que dans un système d’oppositions bon/méchant, propre/sale, lumineux/sombre, etc. L’entrée en scène des deux faces est nécessairement simultanée. La notion d’apparition furtive est mise à mal par le cortège solennel à travers une haie de « villageois ». Enfin, la station à l’école pose problème. Que fait un saint catholique dans une évocation de l’école républicaine ? Outre, à nouveau, le contresens d’une manifestation de St Nicolas dans l’espace public.
Voici pour la forme. Sur le fond, on ne peut être que perplexe devant la pauvreté du contenu. Que veut-on montrer ou transmettre, que veut-on donner à comprendre, comment pourrait-on travailler ce thème par rapport à une culture contemporaine qui ne se limiterait pas au zapping de jolies images ? Il nous semble que c’est le rôle d’un musée digne de ce nom, qui devrait faire entendre sa voix spécifique, documentée et respectueuse d’une certaine vérité historique et ethnographique dans la folie des marchés de Noël et autres manifestations au succès commercial certes remarquable. Au temps de notre équipe, avant 2006, nous proposions à notre public un havre de paix où l’on prenait le temps de savourer les instants, et où on se posait des questions : quel socle de connaissances vérifiées ? Comment les partager, sur différents plans faisant écho à des problématiques culturelles et sociétales d’aujourd’hui ?
Sans prétendre que tout était parfait, loin de là, voici le lien avec un dossier de 1995/1996 qui était notre base de travail avec les guides et animateurs de l’écomusée, afin que toutes et tous nous soyons en mesure d’ « habiter » nos rôles durant la période de Noël non comme "villageois" factices mais comme hommes et femmes de dialogue et de transmission.
L’écomusée actuel exploite volontiers le fonds de commerce des croyances et superstitions. Nous espérons que les responsables ne sont pas conscients de son caractère approximatif et racoleur, déjà relevé au sujet de la symbolique des colombages en Alsace
La Walpurgisnacht, "nuit des sorcières" ? Vraiment ?
Autre exemple, en avril 2024, les responsables de l'écomusée invitaient le public à une « nuit des sorcières » le 30 avril, à la fête de Ste Walpurge ou Walpurgisnacht, surtout popularisée par le Faust de Goethe, suivi d’autres œuvres notamment de Mendelsohn. La réalité de cette date comme moment privilégié de la tenue des sabbats de sorcières n’est pas établie historiquement. Le peu que livrent les textes au sujet de la nuit du 30 avril au premier mai ne mentionnent pas de Walpurgisnacht mais le jour de mai, Maitag . Gérard Michel, dans notre ouvrage commun « Cochons des villes, cochons des bois. Une histoire environnementale des collines sous-vosgiennes » (2019) livre une pépite dénichée dans les comptes communaux de Rouffach. Une série de mentions de Meÿtag à Rouffach, entre 1590 et 1610, concerne la rémunération supplémentaire des gardes forestiers pour le gardiennage des forêts, où il est de coutume de prélever illicitement durant la dernière nuit d'avril des arbrisseaux, afin de confectionner des arbres de mai (Maibaum). Quel rapport avec les sorcières ? Aucun.
Marc Grodwohl
10/12/2024
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Quelques sources autorisées
Georges BISCHOFF. Vert et chrétien, tricolore et laïc. Les racines alsaciennes du sapin de Noël. Actes de la journée d’études organisée par Gabriel Braeuner à la Bibliothèque humaniste de Sélestaat, 2021, p.41-66
(à suivre)
Album souvenir de la fin des années 1990 et du début des années 2000