A propos de la démolition de maisons du XVIe s. à Brunstatt : traiter les bâtiments avec l’exigence scientifique s’appliquant aux Archives et aux sites archéologiques
L’Association pour la sauvegarde de la maison alsacienne (ASMA), animée par Bruno de Butler, fait preuve d’une belle pugnacité et d’indépendance vis-à-vis des pouvoirs locaux. C’est avec plaisir que de semaine en semaine, nous la voyons talonner cette minorité d’élus locaux qui disposent du patrimoine bâti communal comme s’ils n’avaient à cet égard aucune responsabilité de bonne gestion durable des biens collectifs. Avec Christian Fuchs et Rémy Claden, tous deux anciens des lointainement défuntes « Maisons paysannes d’Alsace », l’association a « recruté » de belles pointures qui lui permettront d’être présente au plus près du terrain dans la région mulhousienne.
Un terrain riche en belles initiatives communales certes, mais aussi en désastreux contre-exemples. Ce qui s’est passé durant ces dernières semaines d’octobre à Brunstatt en est un. La commune avait pour projet de démolir deux (voire trois?) maisons anciennes formant le fond de la place centrale, inscrites dans deux alignements encore cohérents, témoins de ce qui fut un village viticole surtout aux XVIe-XVIIe s., un bourg marchand aussi placé à l’entrée de la vallée de l’Ill. Ces deux maisons, au-delà de la personnalité qu’elles confèrent à cette ville de la périphérie mulhousienne, étaient une archive bâtie d’autant plus précieuse que devenue fort rare compte tenu des démolitions pratiquées au cours des quatre dernières décennies.
Informée par des citoyens du lieu, l’Association pour la sauvegarde de la maison alsacienne (dans laquelle nous ne jouons pas de rôle mais que nous estimons beaucoup) a élaboré un dossier d’analyse sommaire de ce bâti et présenté un argumentaire solide en faveur de sa conservation. Cette œuvre d’information visant à ouvrir une discussion positive n’a eu aucun effet, et pas davantage la colère de nombreux citoyens manifestant sur les lieux, ou signataires d’une pétition. Pour couper court à une action en référé contestant le permis de démolir, la commune a fait détruire l’un des bâtiments…un samedi matin. Ce calendrier précipité et inhabituel en dit long sur la fermeture de la municipalité à toute possibilité de moratoire.
Comme on pouvait s’y attendre, la violente démolition a fait apparaître des éléments auparavant cachés par les enduits, confirmant l’attribution de la construction au XVIe siècle. En marge de la perte urbanistique et patrimoniale et indépendamment de l’émotion suscitées par cette violence, nous voudrions mettre l’accent sur la perte scientifique occasionnée par cette manière de décider et d’agir sans précautions. Il nous semble que si une commune avait jeté à la benne à ordures des archives écrites du XVIe s. elle ne s’en serait pas tirée au prix du désagrément de quelques articles de presse. Nous imaginons qu’il y aurait eu rappel à l’ordre par une autorité et poursuites. Les peines encourues par des élus ou fonctionnaires en cas de détournement d’archives publiques ou de destruction sans autorisation sont de 10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende pour acte volontaire, dix fois moins – mais quand même ce n’est pas rien – pour acte commis par négligence (art. 432-15 du Code pénal).
Je ne veux pas que des élus aillent en prison, bien sûr, et pas davantage qu’ils paient des amendes ou soient couverts d’opprobre. Mais j’aimerais que l’on commence à réfléchir sérieusement sur la valeur d’une maison ancienne : ce n’est pas seulement le prix du terrain, ce n’est pas seulement l’intérêt que la population lui porte présentement. C’est aussi et fondamentalement une pièce d’archives, source historique et archéologique qui, évidemment, ne devrait pas pâtir des contingences du moment.
Si la même commune faisait éventrer par les bulldozers, en toute connaissance de cause, un sol connu pour contenir des vestiges archéologiques, elle serait également passible de poursuites pénales (jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende). Notons au passage que Brunstatt a été incendié en 1468 par les Confédérés et que les bâtiments en question ont évidemment été reconstruits sur des couches d’incendie du plus grand intérêt archéologique, car étendues à l’ensemble du village et datées avec précision. Mais là n’est pas encore l’actualité.
Si nous évoquons la protection légale des archives publiques et des sites archéologiques enfouis, c’est pour souligner le vide juridique concernant le patrimoine archéologique bâti. Lorsque la loi est silencieuse, c’est à la morale publique de suppléer à ses carences. Ce n’est pas parce qu’une destruction de biens architecturaux publics n’est pas légalement interdite que c’est « bien » de le faire.
Le problème posé ici n’est pas de restreindre le droit à la démolition –il y a bien assez de contraintes abracadabrantes dispendieuses et peu efficaces pesant sur les communes . Mais il est maintenant impératif, en faisant appel à la conscience des gestionnaires de biens communs, de rendre systématiques et « normales » des investigations préalables dans les bâtiments concernés : analyse archéologique du bâti, datations, conservation des données dans une institution publique, communication au public en temps réel des connaissances acquises au moyen de l’étude. Une manière d’introduire dans le débat une forme d’objectivité, une démonstration que pour personne une maison ancienne n’est réductible au seul prix du foncier qui la porte. Au contraire sa valeur d’archive historique collective devrait être reconnue et gérée avec les mêmes moyens et la même bonne foi que celle d’autres domaines patrimoniaux.
Avenue d'Altkirch, une maison datée 1604 quasiment intégralement conservée et parfaitement entretenue par son propriétaire privé. Au fond dans le même alignement on distingue le pignon blanc de la maison n°392 avenue d'Altkirch, à présent détruite
La maison n° 392 avenue d'Altirch qui vient d'être détruite. C'est la même maison que la précédente
Caractéristique de l'habitat vigneron de cette région aux XVIe s. et début XVIIe s., l'affectation de la travée arrière à une cave de vigneron s''ouvrant sur la cour par une porte voûtée
Le tableau éloquent de la charpente et des plafonds arrachés sans soin, destinés au broyage
(Photographies Remy Claden)