Montreux-Jeune(s), la fidélité aux origines

Le groupe qui allait donner naissance aux « Maisons paysannes d'Alsace », l'association qui fonda plus tard l'Ecomusée d'Alsace, était à peine arrivé à Gommersdorf dans les frimas de l'hiver 1971, que déjà il était sollicité pour intervenir en d'autres villages, sur d'autres maisons menacées. C'était comme si, au milieu de l'indifférence générale apparente à ce patrimoine, une douleur longtemps retenue par certains se libérait dans un soulagement : « ouf, enfin quelqu'un a décidé de s'occuper de ce problème ».
Le même mois de décembre 1971, nous recevions deux appels au secours. Le premier concernait une maison gothique de 1542 à Lutter dans le Jura Alsacien. Le second tout aussi irrésistiblement, nous priait de nous engager contre la démolition de la maison Perrone à Montreux-Jeune.
Voici cette lettre datée du 24 novembre 1971 :

« Monsieur Grodwohl,
Je viens de lire à l'instant un article dans l'Alsace de ce jour concernant la sauvegarde de l'habitat rural alsacien sous l'initiative de la manifestation « maisons paysannes de France »
Or à Montreux-Jeune au milieu de notre village se trouve un ancien presbytère d'avant la Révolution de 1789. Le conseil municipal envisage de démolir cette bâtisse de toute beauté, à pans de bois, ayant à l'intérieur un escalier magnifique ainsi que de belles cheminées en grès. Evidemment on envisage de créer une maison des jeunes, qui est vue d'un œil plus ou moins favorable par la population locale pour deux raisons:

augmentation des centimes additionnels

incapacité des dirigeants actuels de la seule société du village qui depuis deux ans « boit le bouillon à la fête du village » alors que les années précédentes sous d'autres directives, il n'y avait que bénéfices et bonne entente.

Si cette restauration me tient tellement à cœur, c'est que je suis le dernier descendant de la branche aînée de la famille Péronne qui avait acheté l'église et le presbytère comme biens nationaux en 1789 et les avaient rendus après cette période difficile à la commune de Montreux-Jeune en restaurant l'église en 1830.

Je ne puis admettre la démolition de cette maison et ce fait j'ai démissionné du conseil municipal lors des dernières élections à l'étonnement de tout le conseil.

Monsieur Grodwohl je vous en prie faites quelque chose pour sauver ce patrimoine qui est menacé par quelques illuminés (la plupart analphabètes) et qui créera la zizanie au sein de notre village.

(formule de salutations et signature) ».



figure 1 : la maison Perronne en juillet 2007, à gauche la mairie, à droite la partie animée par « les amis de la Maison Perronne  »

36 ans plus tard, en ce mois de juillet 2007, je reçois un appel pressant du maire de Montreux-Jeune. Il faut venir. Je suis un peu réticent. Ces lieux,  que j'ai connus et dont j'ai aimé les gens, ont vécu depuis une vie dont je ne sais pas grand chose. Je n'avais fait qu'y passer, et avec moi d'autres du même âge que la vie a séparés depuis longtemps. Notre but était que les villages se réapproprient leur patrimoine, il était dans notre vocation que nous fussions oubliés. Mais les choses ne se passent pas comme cela. Ce n'est pas obligatoirement dans les lieux où nous, j'ai, avons déployé le plus d'énergie et de ténacité, et obtenu les meilleurs résultats, que l'action a eu le plus d'impact et a imprimé - le temps de la vie de ses témoins et acteurs directs- une marque dans l'histoire officielle du village.
 


Figure 2 : geste élégant, un panneau relatant le sauvetage de la maison Perronne par les « maisons paysannes d'Alsace » est apposé sur la façade.


Je me décide à venir, quand même, et arrive donc en cette fin juillet, dans une des rares très belles journées de cet été, à Montreux-Jeune où je ne suis pas retourné depuis au moins vingt ans.

La maison Perronne est aujourd'hui la mairie de la commune. Au rez-de-chaussée, se trouvent deux bureaux et la salle du Conseil, qui ouvrent directement sur l'extérieur et communiquent aussi avec le grand couloir qui contient l'escalier monumental. A l'étage, trois chambres sont dédiées aux activités culturelles du village et il y une grande salle qui résulte de la suppression de trois autres chambres. Là, peu de choses ont changé depuis nos derniers chantiers à la fin des années 70. La grande maison, souriante, vit pleinement grâce à la coopération intelligente de la municipalité, et de l'association « Les amis de la maison Perronne  ». Celle-ci avait été fort judicieusement créée au début des années 1980 par Paul Higy, Roger Bauer et d'autres membres actifs des « Maisons paysannes d'Alsace », de façon à ce que le passage de relais fait, des chantiers de jeunes au village, existe une structure qui continue à faire vivre la maison dans le respect des objectifs qui avaient, en leur temps, mobilisé des acteurs bénévoles venus d'ailleurs.

 

Figure 3 : Le maire actuel de Montreux-Jeune, Monsieur Michel Herrgott, devant le tableau dédié aux maires du village

Figure 4 : des maires emblématiques : Louis Perronne, le dernier de la lignée des Perronne maires, Camille Comtesse qui permit le sauvetage de la maison, Etienne Geiss
 

La réunion à laquelle j'assiste en ce mois de juillet 2007 reflète bien cette complémentarité, puisque je suis reçu simultanément par le maire et des élu(e)s de la municipalité, et les représentants des « Amis de la maison Perronne  », dont Etienne Geiss. Etienne fut l'un des acteurs de l'appel aux « Maisons paysannes d'Alsace » en 1971, avec Jean Dinet, auteur de la fameuse lettre. Aux premières loges en tant que maire de Montreux-Jeune de 1983 à 1995, il resta présent tant à la maison Perronne , que plus tard à l'Ecomusée où je le revis régulièrement à l'action pendant toutes ces années. Le temps ensoleillé qui enveloppe cette journée de juillet m'aide à renouer le fil avec un lumineux printemps 1974.

Un printemps 1974 à Montreux-Jeune

Premiers contacts avec Montreux-Jeune fin 1971 , donc. La maison avait piètre allure et à vrai dire ne jouait pas la séduction. Elle se résumait à un parallélépipède bardé de petites essentes en forme de tuiles en façade, en planches sur les pignons, percé de grandes fenêtres de guingois, et coiffé d'un toit à quatre pentes, peu pentu, couvert de tuiles mécaniques. Tout cela sur un immense espace vide au milieu du village, un espace sans statut. L'église vaguement néo-classique ne faisait que souligner par ses verticales affirmées, le caractère de gigantesque cabane de guingois qu'avait la maison.
Rien de bien stimulant dans tout cela, sinon la fougue de ceux qui voulaient sauver cette maison et l'inscrire dans la vie présente du village, et pour nous le souffle d'une nouvelle aventure : un autre patrimoine que celui de Gommersdorf où était notre base, d'autres gens, et d'une certaine façon une autre culture car, bien que situé dans le Haut-Rhin, Montreux-Jeune partage avec quelques autres villages d'être de langue romane.
Sans doute les tractations ont-elles duré un certain temps, ou avions nous besoin de temps pour lancer ce nouveau chantier en même temps que nous devions assumer de lourds engagements pris à Gommersdorf, à Lutter et sans doute ailleurs encore. Je me rappelle simplement que les responsables communaux qui avaient décidé de démolir la maison ne se confirmèrent pas dans leur rôle annoncé d'iconoclastes. Le maire Camille Comtesse était un homme de bon sens et responsable, face à un patrimoine communal sans affectation, dans une toute petite commune, et auquel l'administration avait opposé son veto absolu à la transformation de cette bâtisse en foyers des jeunes. Là, comme ce fut le cas ailleurs, j'ai été tout à fait accueilli et écouté. En ce temps là, il n'était pas nécessaire de faire des études de faisabilité, de programmation et des consultations juridiques pour des hommes se jaugent, s'apprécient et décident de s'engager ensemble.
Des travaux sont menés dès 1973, et le bardage de la façade principale est arraché. Il révèle un pan de bois très symétrique, dont la mise en évidence change du tout au tout le regard porté sur la maison.

Figure 5 : que se passe-t-il sous les bardages ? Les premiers travaux ont pour objectif de répondre à cette question

Le contrat avec la commune n'est cependant signé que le 22 janvier 1974. La moindre de ses lignes aujourd'hui, nous vaudrait d'être tous au minimum mis en examen. Mais la délégation de service public n'existait pas. Les principales stipulations d'un contrat qui ne faisaient même pas deux pages étaient :

« - la commune de Montreux-Jeune s'engage à mettre à la disposition de l'association (note : « Maisons paysannes d'Alsace »), sans contrepartie financière de la part de cette dernière, la maison Perrone pour une durée de quinze ans à partir du 1er juillet 1973 »

-         l'association dispose d'une entière liberté en ce qui concerne les travaux à effectuer, quels qu'ils soient, étant entendu que ceux-ci ne modifieront ni le volume, ni la distribution intérieure de la maison. L 'association s'engage à restituer le bâtiment dans son état originel, selon les normes scientifiques par elles établies. La commune sera consultée avant chaque tranche importante de travaux.

-         dans la mesure où la population de Montreux Jeune est ouverte à un tel projet, il est prévu d'installer un petit musée local dans la maison. L 'association souhaiterait que la maison soit un centre d'animation dont profiteraient en priorité les habitants de la commune. La municipalité et les habitants de la commune seront consultés chaque fois que se posera en termes précis le problème de la vocation de cette maison.

-         L'association s'engage à mettre à la disposition de la municipalité une des salles, pour les réunions du conseil municipal, sans contrepartie financière. »

C'est dans la foulée de la signature du contrat que j'organise le premier chantier de volontaires dans cette maison, pendant les vacances de Pâques 1974. Organiser est un bien grand mot. Des jeunes d'un peu partout arrivent dans le village, on attaque des travaux en distribuant des marteaux au fur et à mesure des arrivées, on dort dans cette immense baraque inconnue…et la suite, on verra demain, l'important est que ça bouge dans la maison et qu'on ne se pose pas trop de questions. Que deviendra cette maison dans dix ou vingt ans ? A quoi ça rime ? Qu'est ce que l'on mangera, et où, demain ?  Autant ne pas y penser .

 

Ambiance d'époque suivant les fragments du journal de chantier que nous tenions à deux voix (celle de Béatrice et la mienne)

« Marc : Samedi : c'est Monsieur le Maire qui tire du lit (façon de parler , il s'agit de matelas pneu) Marc, Philippe et Béatrice, dispersés dans la maison et ignorant leur présence respective. Ah, combien sont émouvantes ces heures pendant lesquelles la maison se remplit lentement
Béatrice : Ben voyons ! Tout le monde râlait car il n'y avait pas de matériel, de bouffe…et de bénévoles ! Marc : coup de téléphone à Patrice. L'animal mille fois maudit était attendu avec impatience car c'est de lui que dépendait la survie de la communauté privée de victuailles
Béatrice : Qu'est ce qu'un chef, sans nourriture : il ne peut se faire obéir du tout, du tout. Pendant les diverses discussions qui suivaient l'arrivée de chacun, on a pu admirer l'ardeur …pragmatique de Philippe « au lieu de discuter, travaillons… » Marc : il faut dire qu'entre-temps, la divine Providence s'était manifestée, et que « le Père » (le curé du village) nous avait sauvé en nous conduisant à Gommersdorf (nous n'avions bien sûr pas de voiture) où l'on ramasse en hâte poêles rouillées, casseroles remplies de mélasse pourrie, marteaux démanchés et réchaud encrassé.
En réalité on s'attaqua très tôt au travail et, par association d'idées, ce fut dans la cuisine que s'accomplirent nos premiers hauts faits. Alors que Philippe et Béatrice tapaient bien sagement, et à vrai dire sans grande conviction, sur les murs, Marc se déchaînait sur le plafond en plâtre. A la fin de la journée, le plafond ancien était dégagé.
A
près un repas on ne peut plus frugal, on se réfugie tous dans la grande salle de l'étage, dont le visiteur averti sait qu'elle possède, entre autres merveilles (éléments  d'origine conservés ») une cheminée… qui comme toutes les cheminées sauf celle de Gommersdorf, chauffe bien un peu mais fume énormément et contraint les usagers à ouvrir toutes grandes les fenêtres, les condamnant ainsi à cuire d'un côté et geler de l'autre. Enfin malgré tout ça flambait, et tant et si bien qu'inquiété par l'étrange clarté, certain voisin s'arrêta, persuadé que la maison brûlait. »

Ce printemps là, nous travaillons sur plusieurs fronts de l'immense cuisine. A l'intérieur, on remet en évidence le solivage, à l'extérieur on reconstruit l'angle, et un peu partout sur les façades on gratte les joints des panneaux de pierres entre colombages et on les rejointe au mortier de chaux coloré à l'oxyde de fer.

Figure 6 : reprise de l'angle nord-ouest

Figure 7 : reprise de l'angle nord-ouest, Patrice Annenkoff

Figure 8 : Béatrice rejointoie les remplissages de la façade sud

Figure 9 : fin de la restauration des façades

On vit dans les autres pièces de la maison, notamment dans ce que nous appelons la stube et qui longtemps fut l'épicerie du village. Le maire Camille Comtesse nous en raconte l'histoire, nous ne notons pas tout, trop confiants en notre mémoire. Mais nous nous rappelons que là étaient deux tonneaux de gnôle, celle-ci détaillée au verre pour les assoiffés de passage. La nourriture est au début rare, mais le père Pfenninger, curé, s'en aperçoit et le dimanche lors du prêche attire l'attention des gens du village sur nos conditions de vie. Commence alors une procession  ininterrompue de mamans et d'enfants porteurs de plateaux de nourriture, choucroutes, tartes, à la queue leu leu comme les porteurs d'offrande sur une fresque égyptienne. Nous vivons hors du temps.

Nous avons envie de connaître les gens, d'échanger avec eux, de tout faire pour que cette maison soit la leur. Béatrice avec dynamisme prend l'initiative de diffuser un tract d'invitation à une soirée, qui aura lieu autour d'un feu alimenté par les débris du chantier.

Figure 10 : invitation aux habitants du village

Nous explorons le village, dont nous connaissons maintenant les vivants, mais notre premier contact était avec les morts. La fenêtre de la cuisine de la maison Perronne donne sur le cimetière où les tombes sont encore posées à la va comme je te pousse, celles en pierres des notables, tous des Perronne, et encore des croix en bois des humbles, les unes et les autres de guingois, certaines envahies par la végétation. Nous y découvrons la tombe de Julie Perronne, la dernière de la lignée qui fit legs de la maison à la commune en 1929. Nous dégageons la tombe de Joseph Perronne, celui qui acheta la maison comme bien national et fut maire du village jusqu'à son décès en 1829, et y apportons de temps à autres un bouquet de fleurs des prés rapporté de nos explorations du village.

Figure 11 : les tombes Perronne au cimetière et la deuxième maison Perronne (Dinet-Belot). La tombe de Joseph Perronne, le « fondateur »
 

Figure 12 : portes de « maisons Perronne » à gauche, initiales de Louis Perronne sur la porte de la maison de Madame Winter

Depuis ces tombes, nous avons vue sur « notre » maison Perronne, et deux autres véritables manoirs construit par la même famille au début du XIXe siècle. De ce centre du village jardin, nous rayonnons vers les maisons des petites gens, posées ce printemps là sur un tapis étincelant de milliers de boutons d'or. Nous prenons beaucoup de notes et de croquis, dans le but de commencer une monographie sur le village. Ce travail en restera là, mais ces croquis contrairement à tous les milliers d'autres que j'ai pu faire n'ont pas été mis à disposition de l'Ecomusée, comme si la résurrection pascale de cette maison était un souvenir particulièrement précieux, celui des « premières amours » comme le disait si joliment François Haennig. Seul le soin apporté par la commune de Montreux-Jeune et les « Amis de la maison Perronne  » à faire vivre la maison, et à partir d'elle les liens entre les gens du village et leur histoire, m'incite aujourd'hui à exhumer ces quelques souvenirs, en hommage à ceux et celles qui ont pris le relais.


A cette occasion, les croquis pris en 1974 nous livrent quelques aspects de l'architecture vernaculaire d'un village aux marges de l'Alsace. La maison- bloc, d'organisation sundgauvienne, y domine, avec l'ordinaire enchaînement habitation- étable- aire de battage- remise à voitures. Quand elle le peut, la maison privilégie un pignon de l'habitation orientée vers l'est, l'extrémité de la grange venant se lover sous une énorme croupe qui descend jusqu'au sol côté des pluies dominantes à l'ouest. Cette morphologie est caractéristique de l'ouest sundgauvien –« porte de Bourgogne » ou « Trouée de Belfort » et à travers la maison de Sternenberg, j'en avais donné à voir un échantillon à l'Ecomusée d'Alsace.

A cette occasion, les croquis pris en 1974 nous livrent quelques aspects de l'architecture vernaculaire d'un village aux marges de l'Alsace. La maison- bloc, d'organisation sundgauvienne, y domine, avec l'ordinaire enchaînement habitation- étable- aire de battage- remise à voitures. Quand elle le peut, la maison privilégie un pignon de l'habitation orientée vers l'est, l'extrémité de la grange venant se lover sous une énorme croupe qui descend jusqu'au sol côté des pluies dominantes à l'ouest. Cette morphologie est caractéristique de l'ouest sundgauvien –« porte de Bourgogne » ou « Trouée de Belfort » et à travers la maison de Sternenberg, j'en avais donné à voir un échantillon à l'Ecomusée d'Alsace.

 

Figure 13 : exemples de maisons bloc de Montreux-Jeune, à gauche celle de Julie Thévenot, à droite en haut la « maison dîmière », en bas Munsch (croquis 1974)

 
Figure 14 : anciennes fermes-bloc au centre du village en 2007

Variantes : au centre du village s'élèvent non pas une, mais trois maisons Perronne ; celle que nous restaurons, mais aussi deux autres du début du XIXe siècle, construites sur le même modèle classique que l'ancien presbytère, mais en pierres, sur un modèle de maisons de notables reléguant les activités agricoles dans de grandes dépendances distinctes.

L'une ou l'autre exception au schéma des fermes- blocs majoritaires sous la domination symbolique des maisons de notables : par exemple cette maison « double » , c'est-à-dire comportant une chambre de part et d'autre de l'entrée, construite dans le même alignement que l'étable et la grange.

 

Figure 15 : maison à bâtiments dissociés alignés (Rapiné), croquis 1974

Clin d'œil de Montreux-Jeune à la suite de nos aventures : nous y rencontrons une inscription attestant le déplacement de la grange du presbytère de Reppe, datée de 1718, à Montreux Jeune en 1832 , ce que dit une loquace et savoureuse inscription gravée dans la sablière du pignon.

Figure 16 : grange Coquerille, ancienne grange du presbytère de Reppe trasnférée à Montreux-Jeune en 1832

Ne dérogeant pas sur ce point là avec la règle en vigueur pour les autres villages de cette zone, qu'ils soient de parlers romans ou alémaniques, le pan de bois reste fidèle, pour des périodes récentes –XVIIIe voir XIX e siècles- attaché aux poteaux de fond : poteaux discontinus sur les deux étages de la maison, poteaux centraux (poinçons) et porteurs de panne intermédiaire d'un seul jet du sol au faîtage. Je donne ailleurs une cartographie de ce « réduit conservateur » qui est l'extrémité d'un gradient est-ouest, du plus perméable à l'innovation –en matière de charpente s'entend- au plus conservateur.

Figure 17 : « la maison de Fabrice » (croquis 1974)


Figure 18 : la grange du maire Lucien Comtesse daterait de 1802, ce qui est plausible pour cette région. Si cette date était avérée, le hiatus chronologique avec l'état des techniques de charpentes à 10 km de là, côté alsacien, serait de…deux siècles (croquis 1974)

Figure 19 : plusieurs croix en bois de ce modèle marquaient les entrées du village







Figure 20, 21,22,23,24 : la réfection de la toiture, après rétablissement de la charpente dans sa forme d'origine, se fait progressivement dans la bonne humeur et dans des conditions de sécurité qui feraient hurler aujourd'hui…



Figures 25, 26 : la maison a aujourd'hui (2007) fière allure. Une rénovation radicale est intervenue en 2022, mettant le bâtiment aux normes actuelles. Un  grand effort pour une petite commune.

Plus tard, en 1979, ce fut sur ce chantier que se cristallisèrent les passions de Véronique et François Wurth et de Thierry Schreiber. C'est avec leur enthousiasme que démarra quelques mois plus tard le chantier de construction de l'Ecomusée d'Alsace. La page du printemps se tournait, les « Maisons paysannes d'Alsace » étaient maintenant dans le début de leur été, et quel été !

 

Témoignage de Véronique Wurth  :

« C'était l'été 1979.

L'été 1978 avait été celui du tour du Maroc en stop, 1979 se préparait-il à être plus ordinaire ?

J'habitais à Guebwiller depuis deux années seulement et ne connaissais que peu des villages situés encore davantage au sud du département. Je ne connaissais rien du Sundgau et c'est dans cet objectif que je me suis inscrite avec un ami à un chantier de l'association Maisons paysannes d'Alsace, ces jeunes dont on disait qu'ils « retapent les vieilles maisons ».

Le jour du départ arrive, la deux-chevaux se dirige vaillamment vers Montreux-Jeune, village situé à la limite sud du territoire alsacien, le lieu du rendez-vous. A Bretten, je suis saisie d'un doute : et s'il s'agissait d'une bande d'ennuyeux boy-scouts ?

Je suis tentée de faire demi-tour, finalement on reprend la route, on verra bien.

Nous arrivons tous deux à la maison Perronne , l'ancien presbytère du village qui est l'objet du chantier. C'était un bâtiment cossu, à deux étages, situé près de l'église et du cimetière de Montreux-Jeune. Les travaux avaient été entamés par l'association depuis plusieurs saisons déjà, sont refaits la couverture et les façades. Le chantier auquel nous participerons concenre des travaux d'aménagement intérieur.

(…)

L'équipe des bénévoles du chantier était constituée d'une douzaine de personnes, nous étions avec mon ami les deux seuls alsaciens. Nous collègues étaient néerlandaise, anglais, irlandais…C'est par le biais de l'affiliation à un organisme de chantiers national et international que les volontaires de tous horizons étaient recrutés. Les chantiers faisaient l'objet de financements par Cotravaux, organisme paritaire national.

Cette formule de vacances était pratique courante dans les années 1970, elle permettait, aux étudiants notamment, de découvrir un pays à peu de frais, tout en garantissant un accueil et des rencontres sur place.

La vie du groupe s'organise, les tâches d'intendance sont à notre charge ; pour cela, nous disposons d'un budget journalier alloué par l'association. La vie de groupe est une partie importante du contenu du séjour, la communication s'instaure aisément, en anglais, en français et en « globisch » (qui n'existait pas encore !), à la fois par besoin de concertation pour organiser la vie collective et pour la répartition des chantiers, l'approvisionnement des matériaux.

Nos soirées se déroulaient autour du feu, dans les cafés du coin et les fêtes villageoises.

L'accueil de ces groupes de jeunes était un évènement dans les villages sundgauviens reculés. Nous étions toujours, dans un premier temps, considérés comme des étrangetés par notre aspect hétéroclite. La sympathie des villageois se dévoilait au fur et à mesure de l'avancement des chantiers. Que ces jeunes chevelus et barbus, venus de pays lointains, soient capables de travailler et de mettre en valeur davantage qu'eux-mêmes leurs maisons leur inspirait finalement du respect, et c'est ainsi que nous trouvions devant la porte des tartes, des salades, des quetsches fraîchement cueillies qui amélioraient notre quotidien.

(…)

Le chantier s'est déroulé dans le plaisir de la rencontre et du travail. J'ai mis un point d'honneur à veiller à ce que la répartition du travail se fasse dans l'équilibre et sans sexisme, l'animateur ayant une tendance « quasi naturelle » à réserver les postes à responsabilité, comme la pose du carrelage, aux garçons, et laissait les tâches de finition aux filles. Pour cela je me levais à l'aube pour être la première sur le chantier et contribuer à l'affectation des postes. C'est dans la salle d'eau de la maison Perronne que j'ai posé du carrelage pour la première fois de ma vie et ai eu plaisir à quelques occasions à revoir cette réalisation parfaitement acceptable.

A la fin du chantier, nous nous sommes séparés. Un par un nous avons raccompagné les participants à la petite gare de Montreux-Jeune après avoir échangé nos adresses. (…)

Pour ma part, enthousiasmée par mon expérience de chantier, je « rempilais » pour une deuxième session. »

Cette deuxième saison dura en réalité…22 années pendant lesquelles Véronique joua un rôle majeur dans l'Ecomusée d'Alsace.
 

annexe : l'histoire de la maison


Figure 27 : la « maison Perronne » pendant la 1ère Guerre Mondiale
 

Figure 28 : premier croquis (1974) d'un détail d'une chambre de l'étage

L'histoire de la maison Perronne ne s'est révélée que sur le tard, grâce à l'historien Louis Abel, qui fut un membre particulièrement actif de l'association « Maisons paysannes d'Alsace » dans la décennie 1980, et à qui l'on doit une exploration des sources écrites concernant le bâtiment au XVIIIe siècle, d'une envergure inconnue jusqu'alors (L'Alsace 14 avril 1985).
Au point de vue de l'administration religieuse, Montreux-Jeune était le siège d'un rectorat qui regroupait également Montreux-Château, Fontaine et Brebotte. Les maires et jurés de ces communautés entament des démarches en 1781 pour obtenir l'autorisation de l'administration centrale de procéder à des réparations de la maison de l'école et de la paroisse. L 'inspecteur des bâtiments publics de Haute-Alsace,  François-Martin Burger rend dès le mois de juin de la même année un rapport concluant, eu égard à l'état délabré du bâtiment, en faveur de la construction d'un bâtiment neuf plutôt qu'une réparation de l'existant. Les travaux de ce nouveau bâtiment sont adjugés en bloc dans la foulée à l'entrepreneur Joseph Lallemand, dont on ignore tout, y compris son lieu de résidence.

La vocation double de la maison –maison d'école et maison curiale- explique peut être, mais pas avec certitude, le plan atypique de la maison, qui présente deux entrées en extrémité, l'une ouvrant directement sur une chambre avec cheminée et l'autre que le couloir incluant l'escalier monumental accédant à l'étage.

A noter que l'ancienne cure -précedant la maison Perrronne ?- est acquise et démontée en 1779 par la commune de Lutran qui la reconstruira à nouveau avec la fonction de presbytère (cf HIMMELBER Gérard, Lutran et Valdieu, 1993, p. 149 citant la sources ADHR 8G Lutran).

Figure 29 : plan du rez-de-chaussée

Curieusement cette maison curiale est construite en pans de bois, alors que d'ordinaire ce genre de bâtiment affiche la puissance et l'éternité de l'Eglise, à travers une construction en pierres. On est ici en présence d'un pan de bois très technique, distribuant les ouvertures selon les règles de symétrie du style classique. La technique de construction telle qu'on a pu la relever au cours des travaux est assez inhabituelle : la structure des murs extérieurs est en pans de bois ; une fois l'ossature montée, les constructeurs avaient cloué sur la face interne un lattage horizontal : celui-ci servait à la fois de support d'enduit pour le plâtre intérieur, et de coffrage arrière du remplissage entre pans de bois, réalisé en petites pierres calcaires. Il n'est pas impossible que dès son origine, le bâtiment ait été entièrement enduit extérieurement. A l'intérieur, on retrouve un système comparable pour le cloisonnement, qui est réalisé en planches verticales fixées dans des rainures du plancher et du plafond supportant sur les deux faces un lattage horizontal auquel s'accroche l'enduit. Ce principe assez fréquent dans la construction en pierres en Alsace au XVIe siècle, et qui semble s'être maintenu ailleurs plus tard, est connu sous le nom de « cloison espagnole », traduction inappropriée de "Spannischa wand" .

Figure 30 : principe des cloisons de l'étage

Les murs supports des appareils de chauffage sont épais, en pierres, les conduits de fumée étant intégrés à leur masse
Camouflées par l'escalier, les latrines bi-places sot logées dans un édicule flaquant la maison.
Le couloir dessert deux grandes pièces d'égale dimension, la cuisine et la stube –si l'on peut employer ce terme en pays de langue romane- : cette équivalence entre les deux locaux est en opposition avec la tradition alsacienne qui ne réserve à la cuisine qu'un espace très mesuré : La différenciation entre la stube, au caractère marqué de pièce de réception, et la cuisine dont les dimensions en font, aussi, une pièce de séjour, est marquée en d'autres termes qu'en Alsace germanophone.
Figure 31 : ancienne porte de la façade principale réemployée partiellement au nord (croquis 1974)
La rupture avec les traditions locales, qui indique tout autant l'intervention de fonctionnaires spécialisés formés à la française que la frontière très proche avec l'aire des maisons à salle commune, se situe aussi dans le mode chauffage. Celui-ci, certes, conserve le principe du bloc kachelofen- cuisinière, faisant profiter deux pièces de la même source de chaleur. Mais chaque pièce possède son dispositif de chauffage autonome, soit un poêle, soit une de ces cheminées à feu ouvert si rares et si peu efficaces dans notre région.

 

Marc Grodwohl
Août 2007