La clairière de Vitruve
Sous l'égide du « Festival international de la maison », 250 jeunes architectes européens répartis en cinq équipes, sur deux campagnes ont pensé et réalisé des dispositifs construits sur les thèmes « Cabane, cabanons, cabanez » (2003) et « Dieu, le diable et l'architecte »(2004) dans le cadre de l'Ecomusée d'Alsace. Loin d'être confrontation gratuite entre des formes emblématiques du passé et des gages à la création contemporaine, cette expérience constructive a associé avec succès futurs professionnels de l'architecture et public à la démarche anthropologique de ce musée.
Les contributions de l'école itinérante d'architecture organique hongroise font l'objet d'une notice distincte.
Les contributions de l'école itinérante d'architecture organique hongroise font l'objet d'une notice distincte.
archéologie d'une clairière
Figure 1: le camp des charbonniers dans la forêt "Grien" à l'Ecomusée d'Alsace.
Le décor est campé : une forêt à l'écart de la partie construite de l'Ecomusée, la plus fréquentée, avec son pavillon Second Empire, son camp de charbonniers… tiens, une chapelle aussi en équilibre sur la frontière entre les champs et la forêt du Grien. Déjà des cabanes, éphémères, restées juste comme souvenir fugace dans quelques têtes… là, il y a eu une fête avec les habitants d'Ungersheim… on se souvient seulement et vaguement d'abris, de rires, de soleil… après le terrain était un peu dégagé par les piétinements. Le charpentier François Wurth, « Frantz », y a construit sa cabane. L'Ecomusée était déjà ouvert au public. Les visiteurs avaient investi les maisons anciennes reconstruites, Frantz n'avait plus ses cabanes. Il est allé plus loin, s'est fait son antre avec des chutes de chantier. C'est resté jusqu'au bout la cabane à Frantz, jusqu'à son engloutissement sous les eaux, car on a créé un canal, une réserve d'eau pour la scierie.
Le décor est campé : une forêt à l'écart de la partie construite de l'Ecomusée, la plus fréquentée, avec son pavillon Second Empire, son camp de charbonniers… tiens, une chapelle aussi en équilibre sur la frontière entre les champs et la forêt du Grien. Déjà des cabanes, éphémères, restées juste comme souvenir fugace dans quelques têtes… là, il y a eu une fête avec les habitants d'Ungersheim… on se souvient seulement et vaguement d'abris, de rires, de soleil… après le terrain était un peu dégagé par les piétinements. Le charpentier François Wurth, « Frantz », y a construit sa cabane. L'Ecomusée était déjà ouvert au public. Les visiteurs avaient investi les maisons anciennes reconstruites, Frantz n'avait plus ses cabanes. Il est allé plus loin, s'est fait son antre avec des chutes de chantier. C'est resté jusqu'au bout la cabane à Frantz, jusqu'à son engloutissement sous les eaux, car on a créé un canal, une réserve d'eau pour la scierie.
figures 2 et 3 : une « cabane » préexistante dans la forêt du Grien : le chalet des industriels Schlumberger (1855) , ci-dessus le retour de la chasse de Jules Schlumberger le 25 août 1896
Encore des cabanes d'acacia, de dosses, de toutes sortes de tuiles mécaniques. Chaque cabane est une station dans laquelle est présentée une machine, témoin des choix qui se présentaient à un paysan qui avait 30 ans en 1930. On monte tout ça entre bénévoles en 1991 je crois, et parmi eux il y a le populaire André Schutz. Il me dit « Tu vois Marc, quand les Russes m'ont chopé et croyaient que j'étais allemand, alors que je faisais partie de l'armée française que j'avais rejointe à Alger en fuyant l'incorporation de force, eh bien ils m'ont emmené à Tambov avec les autres prisonniers et là ils nous ont donné une hache. Ils nous ont dit, vous avez tout cassé chez nous, maintenant voilà une forêt et une hache et si vous ne voulez pas crever de froid, vous n'avez qu'à vous mettre au boulot et construire ». C'est l'histoire des cabanes vue par l'alsacien André Schutz. Construire sa propre prison… C'est l'histoire des cabanes vue par l'alsacien André Schutz. Construire sa propre prison…
Figure 4 : André Schutz, qui jouait à l'Ecomusée le rôle de garde-champêtre, par ailleurs constructeurs de cabanes émérite
A partir de ces cabanes là, il y a eu une propagation spontanée. A l'Ecomusée où tout était tellement dessiné, pensé, théorisé jusqu'alors, chacun a commencé à se faire sa cabane, sur le même principe constructif : poteaux d'acacia enterrés, assemblages par clameaux, tuiles mécaniques de récupération, et des machines agricoles en dessous, celles dont on avait besoin et les épaves « qui peuvent toujours servir, pour les pièces ». C'est le modèle cabane à vaches des pâtures de Gommersdorf début des années 1970 (sans la baignoire), j'étais content, le vrai vernaculaire continuait à vivre, en marge du vernaculaire théorisé des maisons à pans de bois du musée.
Voilà, pour la tradition locale des cabanes…
Et puis l'idée du Festival des maisons commence à germer.
Dominique Laburte, architecte bien connu de l'Ecomusée avec son associé Gérard Sutter, est aussi enseignant à l'Ecole d'Architecture de Strasbourg. Il pousse pour que l'Ecomusée permette à des étudiants de cinquième année de mener une expérience complète, de la pensée à l'étude puis à un mode de réalisation qui confronte l'étudiant au milieu, à la technique, au public aussi car il faut que les architectes de demain soient en capacité de dialogue avec la culture populaire de leur temps, et pas seulement celle des revues et des grands concours.
L'essai 2002 est avorté, faute de moyens, et parce que le concept tâtonne. Les étudiants dont le projet est retenu sont parrainés bénévolement par des architectes installés, dont le rôle est d'aider les étudiants à aller au bout de leur idée et d'en penser la réalisation technique. Autant d'architectes, autant de visions du métier d'architecte parfois incompatibles.
Providentiellement arrivent les maçons de l'Association ouvrière des compagnons du Devoir du Tour de France, qui proposent d'installer à l'Ecomusée en 2003 leur exposition nationale « Maçon pour bâtir l'avenir ». C'est une opportunité à saisir pour établir un pont entre ceux qui pensent, ceux qui construisent de leurs mains, ceux qui proposent matière réfléchissante au public. Le 16 mai 2003 ouvre une préfiguration du Festival international de la maison, sur le thème « Cabane, cabanons, cabanez ».
On l'a vu, il y a dans cette partie de l'Ecomusée un esprit cabanesque… et aussi une tradition de la clairière : celle du chalet Grien, celle du charbonnier, celle de l'ensemble de l'Ecomusée dans la forêt urbaine.
Le thème de la cabane dans la clairière allait de soi, comme emblématique de l'idée d'îlots d'expérimentation contenue dans la genèse même de l'Ecomusée.
Quatre clairières ont ainsi été créées, à cheval sur les ingrats déblais du creusement du canal et des vestiges de forêt traversés par le Krebsbach, ce ruisseau où l'on ne pêche plus depuis belle lurette les écrevisses, qui lui ont donné son nom .
Sur la montagne de déblais, Dominique Laburte construit la maison ronde, un déambulatoire annulaire couvert, centré sur une cour intérieure. Il exprime ainsi en dur l'idée de la clairière, en jouant sur la semi transparence des toiles qui séparent le déambulatoire de l'extérieur, comme serait légèrement pénétrable au regard le sous bois, depuis la lisière. L'ossature des poteaux en bois est réduite à son strict minimum ce qui a permis au charpentier Dattler de construire un bâtiment d'une extrême légèreté visuelle et de rester ainsi parfaitement conforme à l'idée de la clairière.
Figures 5 et 6 : la maison ronde dessinée par Dominique Laburte et réalisée par le charpentier Dattler de Feldbach en cours de travaux et terminée
En contrebas, une vraie clairière – elles sont toutes d'un diamètre de 34 mètres, mais leur circularité est toute relative compte tenu de l'hétérogénéité du terrain - est traversée par le ruisseau. Elle a été affectée aux étudiants de l'Ecole d'architecture de Strasbourg.
La troisième clairière a été allouée à une plasticienne mulhousienne, Emmanuelle Guilbot, qui a pu y réaliser dans un premier temps son projet artistique personnel, et l'a ensuite décliné sous la forme d'un village de cabanes d'enfants, réalisé avec les enfants du public.
La quatrième et dernière clairière est celle du grand chêne. Elle a été proposée à l'école d'architecture organique hongroise « Karoly Kos », dont le père est Imre Makovecz.
Voici, sommairement campés, le cadre et les familles d'acteurs de la préfiguration 2003 du Festival international de la maison. Les équipes cohabitent : l'installation de l'exposition des compagnons maçons dans la maison ronde débute alors que les charpentiers sont encore à l'œuvre. Hongrois et Strasbourgeois voisinent, occupant chacun une planète différente, physiquement à quelques mètres l'une de l'autre, et à une distance intersidérale pour ce qui est du mode de pensée et du mode opératoire. Il est vrai que chacun avait fort à faire, la date d'inauguration étant fixée au 16 mai.
architectures premières
C'est sous ce titre que se déroule l'expérimentation des architectes strasbourgeois.
« Architectures premières » : il s'agit bien des premières confrontations de futurs architectes à l'acte de construire, mais ce titre renvoie aussi à la cabane en tant qu'archétype de la maison, et au-delà de l'architecture. Le cadre de l'expérience renvoie donc au fameux récit de Vitruve, lequel dans un autre texte fait le parallèle entre l'invention des ordres classiques de l'architecture et la morphologie de la cabane primitive[1].
Mais relisons le, lorsqu'il décrit sa vision de la genèse du savoir-construire la maison :
Mais relisons le, lorsqu'il décrit sa vision de la genèse du savoir-construire la maison :
« … Les hommes anciennement naissaient, comme le reste des animaux, dans les cavernes et dans les bois, n'ayant pour toute nourriture que les fruits sauvages. Cependant des arbres épais, violemment agités par l'orage, prirent feu par suite du frottement des branches. L'impétuosité de la flamme effraya les hommes qui se trouvèrent dans le voisinage et leur fit prendre la suite. Bientôt rassurés, ils s'approchèrent peu à peu et sentirent tout l'avantage qu'ils pourraient retirer pour leur corps de la douce chaleur du feu. On ajouta du bois, on entretint la flamme, on amena d'autres hommes auxquels on fit comprendre par signes toute l'utilité de cette découverte. Les hommes ainsi rassemblés articulèrent différents sons qui, répétés chaque jour, formèrent par hasard certains mots dont l'expression habituelle servit à désigner les objets ; et bientôt ils eurent un langage qui leur permit de se parler et de se comprendre.
Ce fut donc la découverte du feu qui amena les hommes à se réunir, à faire société entre eux, à vivre ensemble, à habiter dans un même lieu. Doués d'ailleurs de plusieurs avantages que la nature avait refusés aux autres animaux, ils purent marcher droit et la tête levée, contempler le magnifique spectacle de la terre et des cieux, et à l'aide de leurs mains si bien articulées, faire toutes choses avec facilité : aussi commencèrent-ils les uns à construire des huttes de feuillage, les autres à creuser des cavernes au pied des montagnes ; quelques uns, à l'imitation de l'hirondelle qu'ils voyaient se construire des nids, façonnèrent avec de l'argile et de petites branches d'arbres des retraites qui purent leur servir d'abri.
Chacun examinait avec soin l'ouvrage de son voisin, et perfectionnait son propre travail par les idées qu'il y puisait, et les cabanes devenaient de jour en jour plus habitables.
Or, comme les hommes étaient d'une nature docile et propre à imiter, ils se glorifiaient chaque jour de leurs découvertes, et se communiquaient réciproquement les améliorations qu'ils y apportaient. C'est ainsi que, grâce à l'émulation qui tenait continuellement leur esprit en haleine, ils rectifiaient à l'envi les ouvrages qu'ils entreprenaient. Ils plantèrent d'abord des perches fourchues, qu'ils entrelacèrent de branches, dont ils remplirent les vides avec de la terre grasse, pour en faire des murs.
D'autres firent sécher des mottes d'argile, en construisirent des murs, sur lesquels ils posèrent en travers des pièces de bois, et, les recouvrant de roseaux et de feuilles, ils se mirent dessous à l'abri de la pluie et du soleil. Plus tard, comme dans le mauvais temps d'hiver ces toits ne résistaient pas aux pluies, ils firent des combles qu'ils recouvraient de terre grasse, et, donnant de l'inclinaison aux couvertures, ils établirent des larmiers pour l'écoulement des eaux.
Telle fut l'origine des premières maisons. Nous pouvons nous en convaincre encore aujourd'hui chez les nations étrangères. En Gaule, en Espagne, en Lusitanie, en Aquitaine, elles sont construites avec les mêmes matériaux et recouvertes de chaume ou de bardeaux de chêne. La Colchide, dans le royaume de Pont, est pleine de forêts. Voici de quelle manière leshabitants construisent leurs habitations. Ils prennent des arbres qu'ils étendent sur terre à droite et à gauche sans les couper, en laissant entre eux autant d'espace que permet leur longueur ; à leurs extrémités, ils en placent d'autres en travers qui closent l'espace que l'on veut donner à l'habitation. Posant des quatre côtés d'autres arbres qui portent perpendiculairement les uns sur les autres aux quatre angles, et formant les murs de ces arbres mis à plomb avec ceux d'en bas, ils élèvent des tours, et remplissent de petits morceaux de bois et d'argile les intervalles qui répondent à la grosseur des arbres. Ensuite, pour le toit, raccourcissant ces arbres vers leur extrémité, et continuant de les poser en travers les uns sur les autres, ils les rapprochent du centre par degrés, des quatre côtés, et en font des pyramides qu'ils recouvrent avec des feuilles et de l'argile. Tels sont les toits à quatre pans que ces barbares donnent à leurs tours.
Les Phrygiens, qui habitent dans des campagnes tout à fait dépourvues de forêts, et qui, par conséquent, manquent d'arbres, choisissent des tertres naturels, les creusent au milieu, et pratiquent des chemins pour arriver à l'espace qu'ils ont élargi autant que l'a permis la nature du lieu. Au-dessus, ils élèvent des cônes avec des perches liées entre elles, les couvrent de roseaux et de chaume, et entassent des morceaux de terre sur ces habitations, auxquelles ce genre de toit donne de la chaleur en hiver et de la fraîcheur en été.
Quelques peuples couvrent leurs chaumières avec des herbes de marais. Chez d'autres nations et dans certaines localités, on emploie les mêmes moyens pour construire des cabanes. A Marseille, nous pouvons remarquer qu'au lieu de tuiles, c'est de la terre pétrie avec de la paille qui recouvre les toits. A Athènes, l'Aréopage a été conservé jusqu'à ce jour avec son toit d'argile comme un modèle de l'antiquité, et dans le Capitole on peut regarder, comme un échantillon de mœurs antiques, la chaumière de Romulus, qu'on a conservée avec sa couverture de chaume dans le lieu destiné aux choses sacrées.
D'après ces observations, nous pouvons juger que telle fut la manière de bâtir des anciens. Mais un travail journalier donna aux mains plus d'adresse, plus d'habileté pour bâtir, et un exercice assidu amena ces esprits subtils à travailler d'une manière plus éclairée.
Il arriva alors que l'art venant à les animer, ceux qui eurent le plus de goût pour la construction de ces bâtiments en fit une profession particulière. C'est ainsi que procéda la nature ; elle ne s'était pas contentée de départir à l'homme le sentiment qu'elle avait aussi donné aux autres animaux : elle lui avait mis dans l'esprit l'arme de la prudence et de la raison, et avait assujetti à sa puissance tous les autres êtres animés. De la construction de leurs demeures les hommes arrivèrent par degrés aux autres arts et autres sciences, et leurs mœurs, devenues plus douces, perdirent tout ce qu'elles avaient d'agreste et de sauvage.
Construisant alors avec plus de hardiesse, et donnant à leurs pensées l'élan que leur inspirait la variété des arts, ce ne furent plus des chaumières, mais bien des maisons assises sur des fondements solides, avec des murs de briques et de pierres, avec des toits couverts de bois et de tuiles, qu'ils se mirent à élever. Ensuite, les observations qu'ils puisèrent dans le travail les conduisirent du tâtonnement et de l'incertitude à la connaissance exacte des règles de la symétrie ; Et ayant remarqué avec quelle abondance la nature produisait les matériaux nécessaires pour la construction, avec quelle profusion elle les prodiguait, ils arrivèrent par la pratique, et avec le secours des autres arts, à ajouter au nécessaire tous ces ornements, toutes ces commodités qui contribuent tant aux agréments de la vie… ».
Revenons à nos 7 jeunes étudiants de Strasbourg, issus de 2 nationalités : France, Argentine, qui prennent connaissance de leur clairière « vitruvienne » puis qui conçoivent en fonction d'elle. Chacun a réalisé une étude d'objet construit, une maquette, a formulé sa démarche. Ce chemin menait inévitablement à la production de 7 cabanes différentes et autonomes les unes des autres.
Dans la démarche initiale, les objets devaient être réalisés par les étudiants eux-mêmes, avec des matériaux précaires. On attendait de la démarche du Festival qu'elle exprime des idées, à une échelle autorisant le test grandeur réelle des effets recherchés, faisant éprouver au visiteur une expérience dans un espace bâti, avec son enveloppe, son entrée, son dehors et son dedans.
Dans le déroulement réel, la façon d'exprimer l'idée s'est révélée relativement audacieuse en mobilisant, sinon une technicité que les architectes ne possédaient qu' embryonnairement, du moins des moyens techniques tels qu'atelier couvert, outillage, matières premières bon marché mais appropriées aux contraintes de chaque projet. La concordance des travaux d'architectes avec la préparation de l'exposition des maçons a fait qu'avec une générosité et une ouverture sans pareilles, l'Association ouvrière des compagnons du Devoir du Tour de France a mis ses ateliers à disposition des étudiants architectes.
Des ondes de sympathie et de volonté de découverte ont rapidement contaminé les habitants de la clairière. Les jeunes compagnons avaient du métier d'architecte leur vision préétablie : des théoriciens peu soucieux du comment réaliser, et par voie de conséquence peut être pas irrespectueux, mais en tout cas inconscients des contraintes et du potentiel des opératifs. Pour la plupart des jeunes étudiants, c'était la première confrontation au monde du travail. En l'occurrence un monde élitaire, exigeant.
Aussi se sont formées spontanément des équipes mixtes d'architectes et de compagnons, l'apport de ces derniers influant sur la conception même des cabanes et orientant leur réalisation vers des solutions techniquement au point et une mise en œuvre soignée et durable : preuve s'il en était besoin que même sur la page blanche de cette clairière, les mêmes causes qu'ailleurs ont pu produire les mêmes effets qu'ailleurs. Ce qui devait être éphémère a été construit en dur, ce qui aurait pu être une production collective d'architectes apportant une réflexion d'ordre urbanistique s'est finalement traduit par une collection d'objets de qualité issus de la prolongation du dessin par le savoir- construire.
Pour autant, l'expérience ne cherchait pas à démontrer une thèse idéologiquement pré-établie, sans quoi ce n'était plus une expérience mais un manifeste. Le résultat obtenu en 2003 traduit inévitablement les propres contradictions de l'Ecomusée, qui ne sont jamais que les contradictions de son temps.
Le thème du cocon
La cabane nous paraissait un thème facile et festif, approprié à une année de préfiguration. La diversité des propositions formelles a été étonnante, traduisant sensibilités et histoires de vie, avec une très forte projection émotionnelle des auteurs dans leur œuvre ; il en résultait pour ces auteurs une certaine difficulté à formuler sur leur projet un discours, qui s'abstraie du commentaire technique ou de références un peu générales, pour faire partager l'idée de ce que pourrait être l'habitat, autrement. Cette pénibilité de la conceptualisation n'est pas qu'inhérente au thème, mais celui-ci néanmoins l'exacerbe. On pouvait concevoir la cabane comme domaine privilégié de l'enfance en bandes, construction collective identifiant un territoire invisible aux adultes et pourtant bien réel par ce qu'il donne à expérimenter du monde tel qu'il devrait être. Dès lors, on pouvait s'attendre à ce que la cabane de l'adulte nous propose un idéal pacifique et convivial : elle aurait pu être auvent de planches accrochées à un arbre cascade de fleurs, ouvrant sur la table fraternelle où le monde se reconstruit, souriant, dans le rayon de soleil capté par un verre de sylvaner… L'expérience n'a pas conduit à un corpus réactualisé des symboles du bonheur de cette sorte de re-naturation sociable, qui réinvente jardins ouvriers, guinguettes, cabanes de bords de plage…. Expression de leur temps, les cabanes de 2003 ont exposé les peurs du jeune adulte de voir son identité dissoute dans le nombre, dissoute dans le futur.
Figures 7 et 8 : « puits de lumière » de Pauline Fourcault (photographies F. Zvardon)
Les états de la personne qu'expriment la plupart des réalisations sont contenus dans la notion de cocon, qui était formellement dominante, y compris dans les choix de mise en œuvre des matériaux. « Puits de lumière » a tressé des lames de cuivre pour constituer un cylindre vertical, ouvert par une lame en toiture attendant le rai de lumière qui fera sortir l' « entressé » de son rempli du monde, dont on ne sait s'il est volontaire ou imposé car la référence annoncée est aussi celle du puits de la mine de potasse voisine. « Hamacocon » a déroulé des cordes sur une ossature métallique, produisant ainsi une flexible enveloppe fœtale.
Figure 9 : « Hamacocon » de Sandro Lagalla (photographie F. Zvardon)
Figures 10 et 11 : La « cabane éventail » de Patricia Bienne (photographie F. Zvardon)
« La cabane- éventail » est une démonstration particulièrement réussie de l'idée de déplier sa cabane protectrice, pour s'y replier. « La cabane F.M.R » est une tente imperméable à toute vision de l'extérieur. Dans la clairière voisine, le cocon de terre a été construit par son auteur autour d'elle, qui s'y est progressivement enterrée, sortant in fine par une trappe creusée à la base du cône. Après quoi, le cocon a été cuit, assurant ainsi du moins dans l'intention la conservation de l'expérience de l'enterrement et de la renaissance. Ces œuvres disent toutes une aspiration individuelle à la paix intérieure par une coupure temporaire du monde, permettant l'éclosion d'un être nouveau. Et plusieurs sont venues se poser où elles pouvaient, sans dialogue avec la nature comme pour dire que le ressourcement ne peut être nourri que par une pensée autonome, détachée des sollicitations de l'environnement.
Figure 12: "La cabane F.M.R." de Thomas Gibert(photographie F. Zvardon) Figure 13 : « Lieux du hasard » de Frédéric Schwoertzig (photographie F. Zvardon)
Deux œuvres sont venues rompre avec le thème du cocon et de la métamorphose, en prenant en compte le site :juchées sur le même ruisseau, elles dialoguent dans la transparence.
« Entre deux rives » est une dure construction de métal enjambant l'eau, qui pour l'auteur argentine, est réveil de souvenirs tragiques. L'exécution de prisonniers politiques, jetés depuis un avion dans la mer avec une pierre au cou par la dictature militaire argentine, a inspiré un passage de la rivière entre un sol et un plafond de galets. On ne peut s'en échapper que par des marches en galets, s'enfonçant graduellement dans l'eau.
Figures 14 et 15 : « Entre deux rives » de Nadia Nubner (photographie F. Zvardon)
Le « Forestarium » comporte un couloir, menant à une chambre suspendue au-dessus de l'eau. Les murs sont constitués d'une double cloison transparente dans laquelle sont venues s'interposer les branches et feuilles mortes, les racines terreuses et prélevées à l'emplacement de la construction. Condensation et chaleur aidant, des mousses et d'autres végétaux et certainement animaux viennent coloniser la cloison, apportant une formidable note d'optimisme à une œuvre qui a su respecter les éléments les plus insignifiants du site en tant que promesse de vie dans une forme nouvelle.
Figures 16 et 17 : le « Forestarium » d'Agathe Meyer (photographie F. Zvardon)
« en…voûté »
Les Strasbourgeois sont les premiers à arriver sur le site, à la mi-mars 2004, dans un environnement ingrat. Il reste encore, pas toujours en bon état, l'œuvre de leurs collègues de l'année précédente. Leur clairière est celle précédemment colonisée par les cabanes d'enfants. Cabanes d'enfants à cuire, cabanes à cuire, tout cela évoque un conte d'ogres affreux, comme un sauvage rituel de tribut au diable sur l'espace à construire. La réalité était autrement pacifique puisque c'est sur ce site que l'année précédente, à partir du cocon d'Emmanuelle Guilbot, les enfants étaient invités à construire des cabanes de torchis sur des armatures de branches, cabanes qui ensuite étaient cuites par Thierry Landault.
Figure 18 : état initial du site et traçage du sillon
De cette occupation antérieure du site restent des tas d'argile rubéifiée, la cabane qui servait de repli aux enfants en cas de pluie. Le terrain est à peu près circulaire et intègre une pente de la butte.
Le fil directeur est apporté par le sillon, et fait ainsi coïncider la naissance de l'œuvre constructive avec le labour de la terre nourricière par l'agriculture première, comme mythe de l'origine de la maison sédentaire. La référence n'est plus Vitruve, mais Romulus qui trace à la charrue le périmètre de Rome.
Le sillon fouille très profond le sol de la clairière à son origine, et en extrait des matériaux : les argiles rubéifiées de l'occupation ancienne, les graviers rapportés, le film géotextile évitant la remontée des végétaux dans le gravier, et au-dessous la terre préservée, chaos de graviers et de blocs argileux.
figure 19 : les matériaux prélevés sur le site et leur mise en œuvre dans le soubassement de la voûte
Le sillon perd progressivement de sa profondeur pour aller s'élancer jusqu'au sommet de la butte où visuellement il se projette dans le ciel. Les parois du sillon sont réalisées en lits de béton, qui réutilisent les agrégats collectés lors de la fouille et triés. Chaque lit de béton renvoie à une phase d'histoire du site, qu'il consigne et donne à lire.
Sur la partie la plus profonde du sillon, devenue fosse, vient se jeter une voûte réalisée avec 20 000 bouteilles de 50 cl de vin d'Alsace, vides – et faut-il le préciser, non bues par le groupe ! - qui résultent d'une collecte de bouteilles que les viticulteurs ne veulent plus réutiliser.
La réalisation de la voûte a nécessité une mise au point technique très poussée, passant par de nombreux essais et l'élaboration d'un prototype.
figure 20 : la voûte prototype
L'intérieur de la fosse, précédée d'une antichambre avec l'emmarchement, est meublé de banquettes. Il y règne, grâce à la voûte en verre, une exceptionnelle qualité de lumière, variable suivant les moments de la journée. Le point de vue vers l'échappée du sillon est symboliquement clos par des lames verticales.
figure 21 : avec Dominique Laburte, courageux sous le prototype…
figure 22: construction de la voûte sur le sillon
figure 23 : « envoûté » achevé
figure 24 : textures et lumières sous la voûte
figure 25 (photographie F. Zvardon)
Le projet réalisé simplifie l'idée première. Celle-ci voulait, sur la trajectoire donnée par le sillon, poser trois états de la maison : une construction qui aurait été quasiment totalement enterrée, une seconde posée sur le sol, une troisième qui en aurait été détachée.
Cette première version présentait l'avantage d'intégrer les apports personnels de la plupart des membres du groupe, dans la mesure où trois projets distincts venaient s'établir sur un axe, et d'obtenir ainsi un consensus de cohabitation.
La réunion des trois édicules en un seul était pleinement justifiée par l'émergence de la tour hongroise "Torony"dans l'axe du sillon, élément vertical contre lequel les deux édicules sur sol et hors sol n'auraient pas pu lutter. L'abandon des deux édicules, qui avaient permis l'expression de chacun à travers la fragmentation du projet, a été une expérience douloureuse : l'équipe a dû passer d'un consensus de principe, reposant sur un projet laissant une place individuelle à chacun, à un projet unique demandant que certains fassent le deuil de leur contribution intime au projet.
Epurée, la réalisation a donné une forme onirique à une représentation connue de la maison au Haut Moyen Age, la fosse creusée dans la terre recouverte d'un toit de branches, découverte par les étudiants lors de leur visite de l'Ecomusée : forme de maison qui s'est du reste perpétuée, notamment en Hongrie, et qui a été observée en Alsace à une période encore récente, en tant qu'abri temporaire de bergers de moutons ou gardiens d'oies.
figure26 : 1 à 4. Hutte de berger à Dachstein (Bas-Rhin). 1914
In FORRER, R. Huttes de pâtres en Alsace. In Revue alsacienne illustrée. 1914, n°II. pp.62 et 64
Issues de traditions primitives, des huttes étaient construites sur des terrains communaux en Alsace jusqu'au début du XXème siècle, par des bergers ou gardiens d'oies. Elles ont peu à peu été désertées, en raison de la diminution de l'activité pastorale.
Dans la vallée de la Bruche, les huttes comme celle de Dachstein, étaient construites comme une tente avec une charpente de poutres et mottes de gazon. Des poteaux verticaux fichés dans le sol supportaient la structure, tandis que poteaux horizontaux et obliques, maintenus par le poids de la toiture, reposaient légèrement sur le sol. De plan rectangulaire, le sol des huttes pouvait être aplani voire excavé comme à Dachstein.
5 à 7. Site de Leibersheim, Riedisheim (Haut-Rhin)
Leibersheim, l'un des finages de la commune de Riedisheim, constitue un exemple de l'habitat rural de l'époque mérovingienne (VIème-VIIIèmes siècles). Entre 1974 et 1978, vingt-sept fonds de cabane ou maisons-fosse (« Grubenhäuser »), ont pu y être identifiées. De plan rectangulaire, exigus, ils étaient creusées dans le loess sous-jacent à des profondeurs variables (entre 0.15m et 1.20 m) et comportaient de deux à six poteaux porteurs. Leurs toits étaient recouverts de chaume, de mottes d'herbes ou de branchages.
5. Restitution d'une cabane à deux trous de poteaux médians ou faîtiers (finVIIème-milieu VIIIème siècle).
De construction sommaire, les deux poteaux médians supportaient une faîtière et un toit très incliné, venant s'appuyer sur le sol extérieur.
In SCHWEITZER, Joël. L'habitat rural en Alsace, des origines à l'an 800. In Saisons d'Alsace, n°64, 1978. p.25.
6. Cabane à four (milieu VIIIème-début IXème siècle).
De type à quatre trous de poteaux angulaires, cette cabane avait la particularité de communiquer avec un four sur son flan latéral ouest. Moins rudimentaire que le type à deux poteaux, des parois latérales s'appuyaient aux quatre angles.
In SCHWEITZER, Joël. L'habitat rural en Alsace au haut Moyen Age. Riedisheim : Joël Schweitzer, 1984. p.376
7.Restitution d'une cabane de type à six poteaux en mottes de gazon (VIème-VIIIèmes siècles).
Cabane apparemment plus spacieuse, elle comportait deux poteaux médians et quatre angulaires. Les poteaux faîtiers permettaient une meilleure répartition des charges, ils débordaient davantage et s'enfonçaient parfois plus dans le sol.
In SCHWEITZER, Joël. L'habitat rural en Alsace au haut Moyen Age. Riedisheim : Joël Schweitzer, 1984. p.282
8. à 11 Exemples de cabanes hongroises
8 et 9. Cabane semi enterrée, Sóstó Museum Village, Nyíregyháza (Nord-Est de la Hongrie), septembre 2001 (document Mariette Cardinal).
10. Façade d'une hutte à palissade de haies sèches, Szalka (Hongrie)
In LASZLO, Dam. Adatok a Garam menti szölöhegyek népi épitkezéséhez / Données sur l'architecture traditionnelle des vignobles en bordure de Garam. In Haz és Ember, n°6, 1990. p.40.
11. Reconstitution d'une maison semi-enterrée du VIIIème-Xème siècle en Europe de l'est. (A. Rappoport, P.A. 1975. p.143).
cité dans BALASSA, Ivan. A kárpát-medence északkeleti térsége lakóházfejlödéséröl. In Népí építészet « A kárpát-medence északkeleti térségében » (A Miskolcon 1989. majus 15-16-án megrendezett konferencia anyaga). Miskolc-Szentendre, 1989. p.74. / L'évolution de l'habitat au Nord-Est du bassin des Carpathes. In L'architecture traditionnelle « le nord-est du bassin des Carpathes », conférence à Miskolc du 15 au 16 mai 1989. 1989. p.74.
sakapatat
Cyrille Fischmeister et Laurent Humblot s'étaient déjà fait remarquer en 2003 par leur contribution inattendue. En 2004, ils ont décidé de se greffer sur le projet strasbourgeois, et de mener à côté leur propre expérimentation. Ils ont récupéré les terres et déblais impropres au soubassement d'En…voûté, tant terres végétales que détritus divers, et les ont conditionnés en sacs à pomme de terre en toile de jute.
Pour les auteurs réalisateurs, l'expérience était totale, le matériau hétérogène et organique déterminant un mode de conditionnement adapté – le sac -, déterminant un poids acceptable par la personne la transportant et la plaçant dans l'ouvrage. Le même déterminisme du matériau conduit à un plan de la construction en spirale.
La démarche affiche sa parenté avec le travail de l'Alabama Rural Studio, qui est connu pour faire travailler les étudiants sur toutes les étapes du processus constructif, et mettre en œuvre des matériaux à coût réduit voire inexistant : bottes de paille enduites, palettes, pare-brise de voitures… Le visiteur, qui en général ne connaît pas l'intention, fait bien sûr le lien entre l'empilement des sacs et la fortification des tranchées et ouvrages militaires, impression renforcée par les oculi pratiqués dans les murs, barils d'essence sciés, que les auteurs ont regretté de placer. L'empilement de sacs émet de tous autres messages à ceux qui ont une mémoire du site de l'Ecomusée. Lors de la rencontre bilan du Festival, Alice Schneider nous a rappelé que c'est ainsi, lors des grandes crues de la Thur toute proche, que l'on colmatait les brèches de la digue ; lors des inondations du village de Ungersheim, c'est aussi de cette façon que l'on barrait l'entrée des maisons et des caves : pour Alice, mémoire du site de l'Ecomusée, cette maçonnerie de sacs de terre est œuvre de vie, comme elle l'est pour les auteurs qui souhaitaient que les plantes jaillissent des murs pour coloniser toute la construction.
figure 27: "sakapatat"
Cette expérience a une portée universelle. Elle renvoie au travail de l'architecte iranien Nader Khalili, qui produit des formes exactement analogues en voulant donner une réponse architecturale -donc artistique ?-, au logement provisoire de victimes de catastrophes naturelles ou de guerres. Son processus, qu'il a appelé Superadobe, consiste en l'empilement des matériaux de la guerre, des sacs de sable en vynil, en une spirale montante. Les lits de sacs sont solidarisés entre eux par du fil de fer barbelé à 4 pointes, qui assure une liaison parfaite entre les assises.
Les écoles de Stuttgart : repas, temps, espace
La collaboration avec Stuttgart est née de la rencontre avec un architecte, enseignant, Eberhard Winkler, qui a eu le coup de foudre pour l'Ecomusée. Il a su entraîner l'enthousiasme de ses collègues Eberhard Holder, Andreas Löffler, Gerd Gassmann, Ulrich Buchmann et Karl-Heins Weiss,puis l'implication des deux écoles d'architecture et d'architecture intérieure (Fachhochschule, Horschule für Technik).
Le nombre d'étudiants partie prenante de la démarche, près de soixante, a impliqué un mode opératoire adapté, et aussi un recentrage du thème du Festival. L'ambiance amicale des premiers repas pris en commun sous la tonnelle de la taverne de l'Ecomusée, l'image en Allemagne de l'Alsace, pays du bien manger et du bien boire, n'est certainement pas étrangère au choix d'un thème resserré « Mahl, Zeit, Raum », « Repas, temps, espace ». Cette approche a permis de poser la question du rapport entre la fonction d'une cellule historique de la maison et la culture présente, plus particulièrement les nouveaux rituels du repas. En conséquence, les œuvres ont été pensées comme espaces scéniques à investir par les visiteurs, acteurs de repas fictifs ou réels : repas silencieux de moines écoutant un lecture sacrée, repas asiatique accroupi en contemplation d'une nature réordonnée par le jardin, Cène, festin pompeux à la mise en scène et au plan de table préétablis, snack-bar dont l'organisation régit mécaniquement tous les comportements… On discerne à l'arrière plan de cette idée une volonté de mettre en évidence les irréductibles culturels, voire archétypaux, d'un des moments les plus ordinaires de la vie.
figure 28 : mise à l'épreuve du lieu en grandeur réelle…
La seconde définition de la contribution de Stuttgart renforce cette réflexion sur l'éphémère : construire pour l'éternité ne plus être notre but, nous disent les responsables du projet. Nous ne sommes que des hôtes sur cette terre en tant qu'individus et même en tant qu'espèce. Chaque construction humaine est de leur point de vue sinon conflit avec la nature, du moins contradiction à effacer dès que l'usage du bâtiment est perdu : d'où le cahier des charges imposé aux étudiants, de construire si possible avec les matériaux locaux à rendre au site lors de la déconstruction, et avec des matériaux de récupération à recycler ailleurs. La thèse est fortement contrastée par rapport à celle des voisins hongrois pour qui l'architecture résulte d'une pensée également écologique, mais « dépassant la simple approche utilitaire en associant société et nature dans un seul écosystème organique et spirituel ». Elle est aussi distincte de la position des Strasbourgeois, qui font du premier objet construit un acte d'urbanisme qui dotera le site d'un tracé urbanistique perdurant au-delà de la vie de l'édifice. Ce serait mal à propos de considérer ces positions comme expression des cultures architecturales nationales ; elles n'en reflètent pas moins avec vérité des sensibilités écologiques différentes, propres à la manière dont chaque société pose son statut sur la planète.
Après s'être rendus sur le site, les étudiants de Stuttgart se sont constitués en groupes de deux ou trois pour élaborer des propositions de projets : le travail par petites équipes se déroulait dans une grande salle, chacun voyant avancer le travail de l'autre. De seize propositions sont issus trois projets auxquels ont été rattachés beaucoup d'idées issues des propositions non retenues. La fragmentation de la contribution des écoles en trois projets distincts est une adaptation au nombre important d'étudiants que l'on n'imaginait pas travailler sur un objet unique.
figure 29 : de haut en bas : salle à manger, « Restau-a-Rohr », « le temple de Mammon ».
« Restau-a-Rohr » est un pavillon en tubes de carton, récupérés dans l'industrie textile. Les tubes inclinés forment l'ossature à laquelle vient s'arrimer le toit, et sur laquelle se replient les toiles des six sièges géants à deux assises, l'une tournée vers le centre du pavillon et l'autre participant à un dispositif rayonnant vers l'extérieur.
La « salle à manger » se définit comme une enveloppe archaïque en pisé, tournée vers le point culminant de la région, le Grand Ballon, couverte de panneaux transparents acryliques. Le sol est constitué de canettes de sodas en aluminium, récupérées dans un stock non conforme aux exigences réglementaires. Elles ont été compressées pour connaître un usage intermédiaire comme revêtement de sol, avant d'être refondues ultérieurement. Le sol est situé à des niveaux différents, alors que le plateau de table est de niveau constant, ce qui lui donne une hauteur relative variable permettant de prendre les repas debout, assis, ou accroupi.
Le troisième pavillon a été renommé « le temple de Mammon ». Il est formé de 25 colonnes en briques de papier monnaie périmé et déchiqueté, chaque colonne représentant une valeur initiale de 5 000 000 euros. La valeur se trouve ainsi ramenée à celle d'un matériau, particulièrement… éphémère.
Figure 30 : séquences du chantier
[1] Vitruve. De l'architecture. Livre second, chapitre 1 « De la manière de vivre des premiers hommes ; des commencements de la société humaine ; des premières constructions et de leurs développements ». trad. nouvelle par Ch.-L. Maufras. Paris : C. L. Fl. Panckoucke, 1847.