L’ "Homme sauvage" dans tous ses états

L'instauration à l'Ecomusée d'Alsace d'un Charivari, « Carnaval des paysans » (Bürafasnacht), à partir de 1994, m'avait fait m'interroger sur la figure de l'Homme sauvage, à la fois omniprésente et difficile à définir aux plans historique et anthropologique, tant l'information est lacunaire. Cet article n'a pas d'autre ambition que de faire un point documentaire sur la question.
L'Homme sauvage n'existe plus, en effet,  qu'en pointillés dans le répertoire dit « traditionnel », à travers l'une ou l'autre figure carnavalesque dérivée dans les fêtes et rites de la saison froide (par figure carnavalesque on entend l'ensemble des personnages grimés qui sont associés des fêtes de la Toussaint à la Pentecôte). On peut alors se demander pourquoi je tenais tant à ce que notre musée s'embarrasse d'un « patrimoine immatériel » aussi imprécis. J'avais plusieurs objectifs, à commencer par la mise en contexte du patrimoine matériel. Notre musée était ouvert en hiver, et il était important pour moi de donner à nos visiteurs la possibilité de se rapprocher des croyances, des peurs, des espoirs, qui s'élaboraient et se transmettaient dans la « petite Longue nuit » alsacienne. Les figures traditionnelles, spécialement autour de Noël, étaient assez vulgairement mercantilisées, et j'avais envie de transmettre à ceux de nos visiteurs qui en avaient envie un appareil critique. Il en allait de même pour Carnaval, sur lequel les pires lieux communs étaient sans cesse rabâchés, alors que nos anciens avaient encore tant à nous en dire et nous en apprendre.

Sur un autre plan que celui du patrimoine immatériel, ces figures me paraissaient très intéressantes comme support de discussion sur deux sujets actuels, qui étaient à la source même de l'intention de visite de beaucoup de nos hôtes : un rapport incertain à la nature, entre écologie, peurs et perte de toute culture religieuse, un rapport de plus en plus tendu à l'altérité. Homme de la nature, homme différent et craint, homme pourchassé et brûlé, figure récupérée par les nazis dans leur panthéon germanique, l'Homme sauvage bien évidemment oscillait, comme en tous temps et en toutes cultures, entre civilisation et barbarie. Voila pourquoi je prenais beaucoup de soin à ne pas livrer du spectacle facile avec pour alibi une ethnologie mal digérée, mais à utiliser ces interprétations de figures symboliques du passé pour un dialogue d'aujourd'hui, au plus près de nos préoccupations d'individus sociaux.

La polysémie de l'Homme sauvage varie suivant les époques et les contextes, mais de manière constante il pose le problème de la société ayant tourné le dos à une nature qui lui est devenue étrangère, et tentant de rétablir un lien par la médiation : métamorphoses " réelles " (exemple le thème du loup garou, de l'armée sauvage,…) ou simulées (le déguisement carnavalesque). Cette figure de l'homme sauvage n'aurait cependant pas survécu si elle n'avait pas, à différents moments, été chargée d'un sens politique, religieux ou philosophique par les élites. En Alsace, la thèse d'un peuple transmetteur des valeurs de l'antique Germanie, soutenue par la Volkskunde  allemande pèse particlièrement lourd dans les commentaires de la figure de l'Homme sauvage. Celle-ci a permis autant la mise en exergue de valeurs rustiques, qu'elle a pu agir comme repoussoir.  Elle est universelle ( yéti…) et exprime des peurs plus actuelles que jamais (les cités, nouvelles forêts impénétrables, et les « sauvageons »).



Figures 1 et 2 : Carnaval paysan de l'Ecomusée d'Alsace, forêt d'hommes (et de femmes !) sauvages (2003)

Figure 3 : calendrier des occurrences de l'Homme sauvage

figure de rustrerie et de paganisme

On le voit figurer sur l'iconographie, notamment française, du Moyen-Age, sous la forme d'un homme habillé de peaux de bêtes, voire lui-même velu. On s'entend généralement sur l'idée que cette figure est négative et représente le regard, méprisant, de l'aristocratie sur le paysan, proche de la nature, mi-homme, mi-bête, et quasiment encore païen . Un exemple célèbre de mascarade royale en costumes d' hommes sauvage est le bal des Ardents (1393) où le roi de France Charles VI et cinq seigneurs déguisés prennent feu... En Alsace des tapisseries du XVe siècle et plusieurs gravures et dessins de Martin Schoengauer montrent des hommes sauvages)

Figure 4 : tapisserie de St Jean-les-Saverne (XVe s.)





Figures 5,6,7 : avec Martin Schongauer, la figure du sauvage change de sens et véhicule une image de force puisée dans la simplicité d'une vie loin des villes et de leur luxe (les trois vignettes à blason datées de 1507)

Néanmoins, cette figure est comme souvent, ambivalente, car la fête de St Jean-le-Baptiste, toujours représenté vêtu de peau de bête, a été positionnée au moment du solstice d'hiver.

L'assimilation mythologqiue de l'Homme sauvage au Chasseur sauvage est caractéristique de la pensée de la Volkskunde allemande. Cette dernière y voit une survivance de la métamorphose du dieu germano-scandinave Wotan.

Le chasseur sauvage serait un homme qui a bravé un interdit ou un tabou, par exemple la chasse ou la consommation d'un animal tabou. Il revientdrait en esprit, traversant les airs comme Wotan, à la tête d'une armée des morts -morts sans sépulture, maudits de toutes sortes- métamorphosés en bêtes sauvages.

Figure 8 : détail de la Mélancolie (1532) de Lucas Cranach l'Ancien (1472-1553), l'armée furieuse

Ce thème de l'armée furieuse du chasseur sauvage structure de nombreuses légendes voire récit d'accidents, de morts violentes, notamment de suicides. 

La métamorphose du chasseur en bête sauvage ouvre sur le personnage de Hans Trapp, le plus connu des hommes sauvages. C'est un ogre (Jean-qui-atTRAPPe) , dévoreur d'enfants comme l'était le boucher de la légende des trois enfants de St Nicolas, vêtu de peaux de bêtes : il appartient à l'univers des loups-garous. Il est souvent coiffé de cornes car c'est une représentation du démon, et est couvert de chaînes comme tout bon revenant inexorablement privé du repos éternel.

Figure 9 : Loup-garou de Cranach
 

Figure 10 : en encadré, le St Nicolas un peu ogresque de Jost Amman (XVIe s.), qui avec sa pelisse et sa cage à oiseaux sur la tête, se pose en messager finalement assez sympathique de la nature, préfigurant Papageno ...et Jacques Prévert!  Et l'interprétation de cette figure à l'Ecomusée d'Alsace (vers 2000) par Raymond Fechter

En Alsace, c'est un des rares personnages costumés traversant la durée à peu près sans déformation, dans la mesure il est toujours le second de St Nicolas, voire de l'Enfant Jésus lui-même, qui le domine en tant que symbole de la victoire du christianisme sur le paganisme et de la lumière sur les ténèbres.

Figure 11 : Un St Nicolas associé à l'enfant Jésus, encore protecteur mais annonçant son cantonnement prochain dans un rôle punitif (1849) dans la même peau et sous un autre nom,Hans Trapp . Parallèlement, en tant que typique "Pelznickel" (Nicolas à pelisse ou à fourrure) ,il prépare sa  carrière de Père Noël, homme sauvage laïc et parfaitement intégré à l'intimité familiale

Figure 12 : sur cette illustration de Théophile Schuller (fin XIXe s.), les rôles sont à présent bien fixés par le rituel villageois. L'enfant Jésus est représenté par sa mère couronnée d'étoiles, curieusement dénommée « Christkindel » et l'homme sauvage, cornu, Hans Trapp n'a plus que le mauvais rôle .

Représentation du mal, repoussoir, lorsque les autorités en font un sorcier normé, cet homme sauvage a un sens beaucoup plus général dans la pensée paysanne ancienne. Ayant accès à l'autre monde, celui de la mort, de l'animalité furieuse et des secrets des forêts sombres, l'homme sauvage est aussi un intercesseur entre le monde des esprits et les vivants, banal dans les rituels agraires de fertilité.


Intercesseur entre la communauté des vivants et ses ancêtres 

On atteste dans plusieurs Carnaval anciens (XVIe s.) et  contemporains, la tournée de maison en maison d'hommes masqués, grimés, qui jouent le rôle des revenants des ancêtres. Menant grand tapage, méconnaissables et littéralement déchaînés si quelqu'un cherche à les identifier, ils ne quittent la maison qu'après avoir obtenu une offrande, généralement des beignets.

Cette offrande est la condition impérative de l'échange entre les deux mondes, et d'une intercession favorable des ancêtres dans le cours de la vie des vivants. Du reste, au XIXe s. c'étaient souvent les enfants qui offraient un cadeau au couple St- Nicolas - Hans Trapp.

 Dans le Carnaval, ou lors des cortèges du Lundi de Pentecôte qui sont des " carnaval de clôture " du cycle pascal, l'Homme Sauvage est parfois vêtu d'un pagne de peaux de bêtes, de feuilles, et porte un petit arbre, le " mai ".

Figure 13 :Homme sauvage du Carnaval de Bâle, figure la plus classique du ressourcement de la communauté à ses origines « naturelles » la forêt primitive étant symbolisée par l'arbre ou " mai "(détail d'une illustration de Daniel Burkhardt-Wildt, fin XVIIIe s, Musée Historique de Bâle

Figure14 : Feuillu de Pentecôte, illustration alsacienne fin XIXe s.

 

Une élaboration savante à la fin du XVe siècle.
 

La diffusion à la fin du XVe s. des écrits de Tacite sur la Germanie, la construction politique du concept de nation allemande, sont à l'origine d'une récupération de la figure folklorique de l'Homme sauvage (ou plutôt de ses figures car sous des formes diverses il est omniprésent dans les fêtes agro-calendaires) . Cette nouvelle interprétation est due à Simon Schama.


Figure 15: Les anciens germains, habitants valeureux de la forêt primitive, Philippe CLUVERIUS, Germaniae antiquae, 1616

A partir du début du XVIe siècle, l'Homme sauvage est la représentation symbolique et valorisante de l'antiquité germanique, faite d'une société de moeurs simples et justes et de courage : les tribus germaniques, du fond de leurs forêts primitives, ont résisté à mains nues avec succès aux Romains bien armés mais de mœurs dissolues. La représentation de l'Homme Sauvage, vêtu d'un bout de peau de bête et armé d'une massue, germanise l'image d'Hercule et établit le mythe d'une antiquité vraie, fondée sur la pureté des modes de vie et, partant du sang germanique. La suite est connue.
Nous avons à Mulhouse une rue du Sauvage, en fait rue de l'Homme sauvage, renommée par les nazis « rue Adolf Hitler ». On s'en moqua beaucoup, mais les idéologues nazis savaient ce qu'ils faisaient.

La propagande des humanistes de la Renaissance explique la popularité (ou plus exactement la non-censure) du thème dans les cortèges paysans, et le nom du " Sauvage " donné à des enseignes de tavernes, à des statues de fontaines, à des rues en Alsace , entre autres :
- la rue du Sauvage à Mulhouse

- les auberges de l'Homme Sauvage à Turckheim, Ammerschwihr (première mention en 1520), Kaysersberg (première mention 1569)

- la fontaine de l'Homme Sauvage à Ammerschwihr (1560) 

….

Figure 16 : Hommes sauvages de Dürer (1499)
 
Figure 17 : fontaine de l'Homme sauvage à Ammerschwihr (Haut-Rhin)


Figure 17b: enseigne (XVIIe s.) de l'auberge du Sauvage de Mulhouse, Musée historique de la ville.



figures 18 et 19: L'homme sauvage ravalé au rang de curiosité monstrueuse et mythique? ”Homo sylvestris et pilosus”, in Johann Zahn, « Specula physico – mathematico - historica notabilium » ,Norimbergae (Nürnberg):,Knorz 1696


le bon sauvage
 

La découverte du Nouveau Monde a suscité, au retour des expéditions et conquêtes, des exhibitions de " sauvages ", qui vont enrichir le mythe populaire. Les premiers découvreurs de ce nouveau monde vierge et pur, par exemple Amerigo Vespucci (1503) vont populariser l'image d'hommes restés soumis aux seules lois de la nature, et vierges de la corruption du luxe, de la propriété privée... : Ils n'ont de vêtements, ni de laine, ni de lin, ni de coton, car ils n'en ont aucun besoin; et il n'y a chez eux aucun patrimoine, tous les biens sont communs à tous. Ils vivent sans roi ni gouverneur, et chacun est à lui-même son propre maître. Ils ont autant d'épouses qu'il leur plaît [...]. Ils n'ont ni temples, ni religion, et ne sont pas des idolâtres. Que puis-je dire de plus? Ils vivent selon la nature. "

La figure du bon sauvage, on le sait,  va nourrir l'idéalisation de la nature qui a fait l'homme heureux, dépravé et rendu misérable par la société (J.J. Rousseau). Cette figure est cependant éloignée de l'univers mental de la paysannerie : dans certaines régions d'Alsace, ce n'est qu'avec les tirailleurs sénégalais de l'armée française, en 1918, que les gens sont pour la première fois confrontés directement à la « noirceur » (voir le masque à tête de tirailleur sénégalais qui ouvre l'une des ruches du rucher de Hausgauen remonté à l'Ecomusée d'Alsace).

Figure 20: L'enseigne de l'auberge de l'Homme Sauvage à Turckheim a remplacé tardivement la figure guerrière du Germain par le bon sauvage  des Lumières : dans les deux cas, au service de pensées et de projet différents, faire corps avec la nature est le fondement de la vertu.

 

Figure 20b: un Homme sauvage syncrétique, germain de la forêt primitive dans un décor de bon sauvage des Iles. Enseigne du restaurant du Sauvage à Waldshut (Allemagne)

 

la traque de l'Homme sauvage

 

Cette traque est menée par les conscrits, ou à la Mi-Carême, ou le Samedi Saint, ou le Lundi de Pâques, ou le Lundi de Pentecôte. Elle consiste en la recherche dans bois ou granges d'un jeune homme grimé et habillé de paille, dénommé par exemple le " Iltis " (putois). Cet homme sauvage est enchaîné puis présenté de maison en maison, les conscrits exigeant une redevance d'œufs, de lard, sous la menace d'une comptine de malédiction. La défroque de l'Homme sauvage est brûlée en fin de parcours sur le bûcher.

Cette coutume a amalgamé au fil des temps des sens très différents. On y retrouve une dimension propre aux personnages symboliques de l'hiver, qui est la représentation de l'ancêtre défunt, médiateur avec l'au-delà, renvoyé dans son monde avec la venue du printemps. La parodie de l'exécution par le feu du sorcier, version loup-garou, témoigne de la destruction de ces rites agraires par l'Eglise. Enfin, la charge antisémite est parfois explicite à travers la transposition symbolique de la crémation du juif du Samedi Saint .

 


Figure 21: immolation d'un homme sauvage, Roman d'Alexandre, XIV e s.
 

putois, cerfs et autres bêtes sauvages

 

Du carnaval des paysans (1er dimanche de Carême), au Lundi de Pentecôte, soit aux deux bouts de la période de Pâques (96 jours) ressurgit régulièrement, et surtout à la Mi-Carême le thème de l'homme- bête sauvage : Putois, martre, cerf (ces derniers figurent dans les cortèges médiévaux du lundi de Pentecôte ).

Figure 22 : cortège strasbourgeois de Pentecôte, avec musicien conduisant un homme costumé en cerf

Sous un déguisement sommaire, une personne grimée est chassée ,puis menée enchaînée à travers les rues du village, est présentée de maison en maison. Là, les conscrits auteurs de la chasse réclament une offrande en chantant une comptine menaçante :

" Nous l'avons chassé avec des oeufs et de la fiente de poule

Avec des piques et des bâtons

Nous le chassons avec de la fiente de poule

Celui qui ne veut pas nous donner des oeufs

Qu'il nous donne cinq francs

Sinon le PUTOIS

Ira prendre ses poules

Aujourd'hui dans trois semaines

Nous mangerons des oeufs et de la viande " (Buschwiller)

Figure 23 : Avant la fin des années 1980, le village de Buschwiller a tenu à représenter à l'Ecomusée d'Alsace les rituels qu'il observait encore sporadiquement, à gauche le Iltis et à droite le Butzimummel. Ainsi, l'intégration des fêtes dans le patrimoine de l'Ecomusée a été, d'une certaine manière, voulue et initiée par ce village.

Parfois, la bête sauvage anthropomorphe se dédouble en l'une pour laquelle on réclame l'offrande, et l'autre qui punira si l'offrande n'est pas faite :

" Voyez votre cerf violoneux

C'est un saint homme,

Si vous ne lui donnez pas d'oeufs,

La martre vous prendra vos poules

Si ne vous voulez rien lui donner,

Le cerf violoneux prendra votre plus jeune fille " (Oberhergheim)

La traduction de « Hirtzgieger » en cerf violoneux est discutable, on peut aussi le comprendre comme « violoneux qui fait des sauts », ce qui revient au même puisque dans l'idée d'une démarche par sauts, il y a bien l'idée d'avoir chaque pied dans un monde différent et ainsi d'être le passeur entre les mondes visible et invisible.





Figures 24 et 25: la traque, la capture, l'exposition et la crémation symbolique du Iltis à l'Ecomusée d'Alsace, 2001

Au moment de Carnaval, les costumes sont brûlés sur le bûcher, ou c'est un mannequin de même forme que la personne costumée qui est brûlé. Une Nature-Mère maîtresse du sauvage destinataire serait-elle dans ce rituel davantage l'objet d'offrandes et de sacrifices, que victime sacrificielle elle-même ?

On pourrait être tenté de suivre Carlo Ginzburg, et d'entrevoir l'affleurement d'une couche de croyances en une Nature-Mère, personnifiée dans les coutumes de Carnaval sous le nom de " La Vieille Femme ", au sens de la femme antique, Diane. Mais sinon la place ambiguë que consent la comptine à la poupée carnavalesque, on ne dispose pas d'éléments qui permettraient de donner le moindre crédit à cette hypothèse.

Le putois de la Mi-Carême est une forme à peine adoucie de la chasse au Juif, qui se terminait le samedi saint par la crémation d'un juif, en punition de la trahison de Judas.

Mais surtout et plus récemment, l'Etat laïc a pour sa part contribué à la prospérité et aux débordements au grand jour de ces coutumes : elles faisait sortir les jeunes gens du contrôle de l'Eglise et des parents, et suscitaient un esprit de " classe " qui facilitait la conscription .

 

Marc Grodwohl

(fiches à l'intention des guides animateurs de l'Ecomusée d'Alsace, revues août 2007)

 

Orientations bibliographiques et notes de lecture

 

On consultera avec profit l'excellent site scientifique -c'est si rare -  Symbolforschung de la Société suisse de recherches en symbolique (Schweizerische Gesellschaft für Symbolforschung) et qui propose un bel article et une riche iconographie sur le thème de l'Homme sauvage (Wilde Leute) 

 

AQUARON Michèle : site web dédié à l'échange de connaissances et de références iconographiques des "représentations du corps de l'homme sauvage et velu du Moyen Age au XIXe siècle" : http://michele-aquaron.com/

 

BAUSINGER Hermann, "Volkskunde ou l'ethnologie allemande. De la recherche sur l'antiquité à l'analyse culturelle". Ed. de la Maison des sciences de l'homme. Paris 1993. Ed. originale en allemand 1971. Dans ce ce patient travail de déconstruction des thèses de la Volkskunde, voir notamment p.200 et suivantes une analyse de la "danse des hommes sauvages" à Obersdorf dans l'Allgäu (Alpes allemandes). Le site internet de cette commune annonce cette "tradition" , "transmission des temps celtiques il y a 2000 ans" et présentée tous les cinq ans.


HEERS Jacques, "Fêtes des fous et carnavals", Ed. Fayard, Paris 1983


p 158-161 montre qu'au XVe siècle la figure de « l'homme (sauvage) en quelque sorte dégradé, auquel ne restent que l'instinct et la force physique » se retourne en « comme un courant de sympathie pour ces êtres qui, par l'exemple de leur vie, prônent le retour à une existence primitive, brutale certes, mais sincère, que l'on dit préférer à celle, chevaleresque et courtoise, trop artificielle »

LESER Gérard, notice « sauvage », p. 6678, in « Encyclopédie de l'Alsace » vol.11, Ed. Publitotal, Strasbourg 1985

Cet article contient des relevés de lecture des sermons du prédicateur Jean Geiler dit de Kaysersberg (1445-1510). Il rapporte avoir été témoin à Kaysersberg vers 1450-60 de la coutume « du « Meiger Bertschi » , qui se déroulait le mercredi des cendres. les femmes de Kaysersberg se rendaient à un endroit secret, et là elles entouraient un homme déguisé en ours ou en homme sauvage : « le Meiger Bertschi que les femmes devaient toucher de leur doigt et sur le sexe duquel elles devaient prononcer un serment le jour du mercredi des Cendres. Celui qui a vu ceci, comme moi, en tant que petit garçon, peut en donner témoignage ». Selon G. Leser « il s'agit ici d'un culte de la fécondité, lié à des pratiques phalliques ; l'homme sauvage est souvent assimilé à l'ours. Berschi vient du moyen-haut-allemand « Berzo » (le petit ours ».

« Geiler mentionne également, dans un autre sermon, « das wilde weyb von Geispitzen », la femme sauvage de Geispolsheim ; elle faisait partie des cortèges paysans, qui se rendaient à la cathédrale de Strasbourg pour y suivre la messe, le lundi de Pentecôte. Elle dansait, uniquement habillée de verdure, pendant tout le cortège, et devant la cathédrale, attirant la foule, distrayant les gens de leurs devoirs religieux, et ceci au grand dam de Geiler qui intervint plusieurs fois auprès du conseil de la ville de Strasbourg pour faire intervenir la coutume. Parfois la femme sauvage de Geispitzen était accompagnée de « valets » et de joueurs de cornemuse »
« Geiler distinguait plusieurs catégories d'hommes sauvages : les ermites ou les solitaires qui vivent dans les profondeurs de la forêt, les satyres, expression des forces naturelles et réminiscence de l'Antiquité gréco-romaine, les « hyspan »i, créatures sauvages à forme humaine habitant l'Espagne, les pygmées ou « Zwerge », enfin les démons… »

Autres notations de l'article cité :
1566 :
«En cette année 1566, les compagnons menuisiers de Strasbourg ont fait leur jeu, mardi le 26 et mercredi le 27 février, dans la ville dans les cours et les maisons des grands messieurs (les membres du conseil de la ville) là où l'on attendait cela d'eaux, et ils montrèrent un grand homme sauvage avec une grande autruche, ainsi qu'une belle maison peinte avec de nombreuses lumières allumées, c'était fait de manière très plaisante ; ils l'ont promené dans la ville et au susdit mercredi, vers le soir, entre 6 heures et 7 heures ils ont mis la maison sur un radeau entre le pont des corbeaux et le nouveau pont, et ils l'ont brûlé avec des feux d'artifice, et l'homme sauvage et l'autruche ils l'ont offert aux messieurs de la ville, et ils ont été exposés ; et ils ont à nouveau été honorés »
1572 :
« Johannes Fischart mentionne dans sa description du carnaval de Strasbourg, dans la « Geschischtsklitterung » (1572), que des « wilde Holtzleut » couverts de lichens participaient aux manifestations ».

 

 SCHAMA Simon, « La traque à travers bois », in « Le paysage et la mémoire ». Ed. française au Seuil, Paris 1999