Les cousines de Gommersdorf(1682) et Hagenbach(1683) à l’Ecomusée d’Alsace

Deux maisons parentes, sauvées de la destruction par démontage, puis reconstruction à l'Ecomusée d'Alsace, posent la question des normes et conventions qui régissaient l'architecture vernaculaire.

 
 
 
Figure 1 : en haut la maison de Gommersdorf en phase de remplissage des pans de bois en torchis en été 1987 suscite un vif intérêt auprès du public. Sur la droite de cette vue, on voit que la « maison forte » est également en cours de construction, celle-ci en pierres. Les visiteurs avaient ainsi une démonstration grandeur réelle de matériaux et de techniques différents. En bas, la même vue quinze ans plus tard.
 
L'Ecomusée d'Alsace ouvre au public en 1984 avec une quinzaine de bâtiments transférés et reconstruits. En dépit du soin que nous avions apporté à la renaturation du site, l'environnement des bâtiments était très aride. La poursuite, et même l'accélération des travaux de reconstruction pendant les années qui suivirent, donna une force originale à l'Ecomusée de ces cinq ou six premières années. Plusieurs maisons étaient en chantier, en différents points du musée, et à des étapes d'avancement variables. Ici une maison était sur la plancher de trace, là la charpente se montait, ailleurs encore on procédait au remplissage des pans de bois en torchis. Cette construction permanente constituait un véritable spectacle : il n'y avait pas de barrières étanches entre lez zones de chantier et le public, et certains visiteurs se laissaient tenter par un essai de construction en torchis. La maison de Gommersdorf a été l'un de ces très beaux chantiers, qui a débuté pendant l'hiver 1986/87, en même temps que le moulin à huile de Koestlach. Nous avions recruté et formé un collaborateur –« Torchiman »- qui a réalisé tout seul le remplissage de la maison, intégralement en torchis tout au long de l'année 1987, torchis que nous avons décidé de laisser apparent pour que la maison se présente au plus près de son dernier état avant démontage. « Torchimann » savait se faire convaincant pour inviter les jeunes femmes du public à étaler et lisser le torchis, sous le guidage de ses mains expertes. Ce fut sur cette maison que travaillèrent les premières classes d'environnement, séjours actifs pour les enfants dont Véronique Wurth fut l'initiatrice. On voit encore sur le four à pain l'inscription dans le torchis « CLHA 1988» Collège Lucien Herr d'Altkirch.
 
La maison de Gommersdorf, là où elle est née
 
La maison de Gommersdorf était sans conteste la plus étonnante et la plus ornementée d'un village que nous connaissons bien, puisqu'il fut le creuset dans lequel s'élabora l'expérience préalable à la création de l'Ecomusée. Elle captait le regard par la massivité des bois, les cinq croix de St André à branches courbes de son pignon, reconduites sur la galerie où elles couraient en registre horizontal. Inhabitée depuis 1927, elle était enserrée dans une végétation sauvage qui venait se fondre avec le potager parfaitement entretenu de la maison voisine.

 
Figure 2 : la maison de Gommersdorf in situ (1972, la photographie du bas de Willy Plozner)
 
Le mur pignon côté rue (orienté au Sud-est, le bon côté de la rue de Gommersdorf) nous donne à voir une structure de cinq poteaux verticaux, ininterrompus pour les deux premiers niveaux. Trois poteaux sont des poteaux de structure : les angles et le refend longitudinal, que l'on identifie bien par la tête saillante de sous-poutre qui le somme. Ce poteau détermine deux « nefs » d'inégale largeur : à gauche celle de la Stube, à droite celle plus petite de la Stuvakammer (chambre à coucher). En façade, chacune de ces nefs comporte un poteau supplémentaire, support de l'huisserie. On s'aperçoit que les Stube (du rez-de-chaussée et de l'étage) disposent d'une large fenêtre tripartite à meneaux (partiellement murées) et d'une fenêtre unique et étroite pour les Stuvakammer. Le comble indique quant à lui une charpente à fermes à entrait retroussés, dite charpente reposante « liegende Dachstuhl » selon la terminologie allemande. Le principe en est la décharge du poids du toit sur les murs latéraux, comme le ferait une voûte, ce que montre la vue du comble avant démontage.

figure 3 : comble de la maison de Gommersdorf in situ
figure 4 : séquence du remontage –François Wurth est au milieu- de la maison de Hagenbach (1683) montrant bien le système de ferme à entraits retroussés, sans panne faîtière, qui vient se substituer aux charpentes à poteaux et pannes faîtières à des périodes variables suivant les territoires.
 
Les poteaux et les traverses horizontales dessinent des panneaux rectangulaires de grandes dimensions, contreventés deux manières ; d'une part deux grandes décharges viennent buter sur le poteau de refend et le poteau d'huisserie, qu'on peut qualifier de contreventement intuitif puisqu'il transpose dans la structure le geste des hommes maintenant le poteau à la verticale. D'autre part, des croix de St André à branches courbes sont réparties à raison de deux au niveau des combles, une dans le plus grand panneau non contreventé par les décharges, et une chaque fois entre les fenêtres de l'étage et du rez-de-chaussée. Ce dispositif garantit un équilibre des contreventements sur tous les panneaux du pignon, et conduit à une densification décorative du secteur de la Stube, ce qui est constructivement compréhensible puisque c'est là que se trouvent les plus grandes fenêtres et que se fait l'accrochage de la galerie en encorbellement : c'est le point de la structure qui « travaille » le plus.

figure 5 :  galerie en encorbellement avant démontage in situ à Gommersdorf, pendant le démontage avec mise en évidence du mur gouttereau et d'une fenêtre à meneaux à l'étage, à l'Ecomusée en été 1987 (noter aussi la construction en cours de la maison forte), et enfin après achèvement des travaux un hiver à l'Ecomusée d'Alsace.
 
Ah, ces contreventements en croix de St-André en branches courbes, quel flot de commentaires n'ont-ils pas suscité sur la « symbolique » des colombages ! Il est difficile d'échapper, aujourd'hui encore, lors de visites guidées d'une vieille ville à des explications qui ravissent les touristes (faute d'autre chose, ils prennent ce qu'on leur donne) « elles ont la forme d'une chaise curule, donc c'était la maison du chef de village qui rendait la justice sur un tel siège » ou « c'est un signe arithmétique de multiplication, plus la maison en comportait, plus prospères étaient les récoltes » etc.
En fait, cette forme de contreventement apparaît dans l'est du Sundgau vers 1580, et semblerait-il dans l'ouest auquel appartient Gommersdorf un siècle plus tard. Elle dérive de toute évidence des courbes et contre-courbes du gothique flamboyant, jamais totalement occulté au XVIe siècle et faisant un retour en force avec l'architecture religieuse de la Contre Réforme à la fin du XVI e siècle et dans le premier tiers du XVII e siècle.
Afin que nos guides aient un exemple tangible de cet apparentement stylistique qui en première lecture, n'a rien voir avec un symbolisme de l'ordre du magico-sacré, j'avais inséré dans le mur d'enceinte du jardin de la maison forte un panneau de balustrade provenant de la collégiale de Thann, haut-lieu de l'architecture gothique de la Contre Réforme.

Figure 6 : panneau de balustrade placé dans le jardin de la maison forte de façon à pouvoir être mis en relation avec les croix de St André de la maison de Gommersdorf

 
Par contre, comme j'avais pu voir à Gommersdorf  une de ces bouteilles scellées sur la mitre de cheminée qui, elles, sont clairement les traces matérielles d'un rituel magico-sacré inaugural, consistant en l'aspersion d'eau bénite sur les travaux neufs. Les bouteilles ayant contenu l'eau bénite étaient ensuite scellées sur les toits des maisons, jusqu'au moment où elles étaient décimées, cibles favorites des jeunes s'entraînant à tirer à la carabine.

Figure 7 : bouteille d'eau bénite à Gommersdorf en 1972 (maison 8 F) et sur le toit de la maison de Gommersdorf à l'Ecomusée d'Alsace
 
La maison de Gommersdorf, dans ses espaces : temps et territoires
 
La maison de Gommersdorf a pu être datée par dendrochronologie, les arbres ayant été coupés pendant l'hiver 1681-1682.
Forts de cette datation, nous pouvons esquisser un positionnement de la maison, dans le temps propre à son village et dans le temps , relatif, de son environnement immédiat –les villages de la confluence de la Largue et du Traubach – puis plus large : le Sundgau. Procédant à cette cartographie en trois dimensions, celles du territoire et celle du temps territorialisé, nous pourrons effleurer le sujet de la maison en tant que système de représentation identitaire.
Nous sommes dans l'ouest sundgauvien, une zone que l'on peut qualifier de frontalière, entre Vosges et Jura, annonçant la Porte de Bourgogne. La ligne de partage des eaux Mer du nord/ Méditerranée est toute proche de Gommersdorf (moins de 10 kilomètres au sud) et celle-ci se superpose peu ou prou à la frontière linguistique entre les parlers alémaniques et romans. Les échanges linguistiques étaient du reste fréquents de part et d'autre cette frontière, nonobstant l'annexion de 1870. Cet ouest sundgauvien a pour dorsale la Largue. L'ouest sundgauvien est compris entre l'artère de l'Ill et le « talus », qui est la chute des collines du piémont jurassien sur la bordure du Rhin. Si l'on prend Gommersdorf, comme extrême Ouest, et Sierentz comme extrême est, on constate un très important hiatus chronologique dans l'acquisition et la diffusion des techniques constructives. Avant de décrire ce hiatus, voyons à quel tronc généalogique « endogène » la maison de Gommersdorf se rattache.

Figure 8 : généalogie (très simplifiée…) des maisons de l'ouest du Sundgau
 
Pour « souche » de notre généalogie, nous prendrons les granges du milieu du XVI e siècle., à l'exemple de celle de 1561 à Wolfersdorf et dont existe aussi un exemplaire à Gommersdorf (voisine de la maison démontée). On peut les décrire sommairement comme des bâtiments à quatre nefs déterminés par cinq files de poteaux : une file centrale qui supporte la panne faîtière, deux files latérales qui portent les pannes intermédiaires, et enfin les deux files extérieures qui définissent les façades. Ce type s'efface graduellement d'est en ouest au courant du XVIIe siècle, mais à mesure que l'on pousse vers l'ouest, sud-ouest, au-delà de Gommersdorf, on constate qu'il se maintient plus tard, en certains villages du Territoire de Belfort probablement jusqu'au XIX e siècle. Dans les environs de Gommersdorf, mais plus près de la « frontière » évoquée plus haut, on constate aussi que la même technique de construction à poteaux continus pour toute la hauteur du bâtiment, supportant des pannes, est mise en oeuvre pour la construction non seulement de la grange, mais aussi de l'habitation.
Il y a là dedans une logique constructive : il s'agit le plus souvent de maisons-bloc, et l'on admet qu'un principe constructif uniforme ait dirigé l'ensemble du bâtiment : ce n'était néanmoins d'aucune manière une obligation technique. Ce qui est en cause est bien la représentation de la maison qui, dans ces exemples d'un apparent archaïsme, n'est pas différenciée de la grange et de l'étable. La maison paysanne se pose, dans ce cas, en un tout homogène, ne laissant pas de place à une spécification du statut de l'habitat strictement humain dans l'ensemble construit d'une part, et d'affichage d'une identité propre au groupe familial dans le village d'autre part . Cette permanence de systèmes constructifs anciens semble se prolonger jusque dans la 1ère moitié du XVIIIe siècle : c'est cette permanence qui justifie l'usage du terme « archaïsme », et non la technique elle-même qu'il faut éviter de qualifier par des jugements de valeur pour ne pas céder à un « ethnocentrisme dans le temps ».
Mais ces exemples de maisons –bloc mis à part, les granges à poteaux continus sont, au milieu du XVIe s., dans le cas des fermes cour dissociant grange et habitation, associées à des maisons d'habitation dont la charpente du toit est déjà sur le principe de voûte décrit plus haut. La répartition des files de poteaux, telle qu'on peut la lire sur les murs pignons, est totalement libérée de la contrainte des poteaux supports de pannes : la charpente du toit et celle des murs sont indépendantes, l'une reposant sur l'autre. Malgré cela, la répartition des verticales continue à se conformer à une rigoureuse symétrie, axée sur un poteau central plus symbolique que technique. Assez clairement, la nouvelle technique de la charpente-voûte, sans panne, est utilisée en raison de ses multiples avantages fonctionnels, mais le déterminant de la composition de la façade reste l'axe, pour le coup « mémoriel » du poteau central : autant dire que celui-ci correspond à une représentation symbolique de la maison, et un rapport de la maison au cosmos, le lien vertical entre la sol et le ciel ne supportant aucune rupture.

 
Les conséquences de cette fidélité à un modèle de la maison sont importantes : la poutre sablière, point de rencontre de la charpente des murs pignons et des combles, est affaiblie par des mortaises superposées. On a, vers 1680 encore, des exemples de pignons qui se conforment à cette exigence de symétrie, mais la plupart y ont déjà renoncé : le poteau de refend est décalé par rapport à l'axe, et les deux nefs, celle de la Stube et celle des Kammera sont bien lisibles dans leur asymétrie. A ce moment là, la maison a tourné le dos à un schéma régulier et centré : on y reviendra plus tard, aux XVIII e et XIX e siècles, pour des raisons purement stylistiques.

Figure 9 : comparaison de deux maisons de 1682, à une vingtaine de kilomètres de distance seulement :  Sierentz et Gommersdorf
 
Comparons à présent la situation au même moment entre l'horizon de Gommersdorf tel que nous avons décrit à l'ouest du Sundgau, avec l'est, du côté du talus qui domine la plaine rhénane. Là, nous assistons manifestement à deux campagnes de reconstruction des villages après la Guerre de trente ans : la première, dans la décennie 1660, nous livre des maisons à poteaux de fond, c'est-à-dire similaires à notre maison de 1682 de Gommersdorf.  Mais la seconde campagne, de la décennie 1680, comprend une immense majorité de maisons à bois courts : la charpente de chaque étage, rez-de-chaussée, étage, combles, est autonome, l'assemblage de ces trois niveaux ou plus se faisant au niveau de sablières horizontales . La symbolique se déplace de façon saison saisissante, car c'est à présent l'horizontale, la sablière, qui est magnifiée par son décor et par des dates et inscriptions. Tout en se gardant d'une surinterprétation, on ne peut s'interdire de penser qu'il y a là, certainement, un indice de bouleversement du rapport au monde, de passage d'une spirituelle verticale à une parfaite et soulignée horizontale, niveau fondamental de l'activité humaine terrestre.

Figure 10 : carte de la diffusion des maisons à bois courts et de la résistance des maisons à bois longs
 
Il faudra beaucoup de temps pour que l'ouest du Sundgau adopte ce système des bois courts. Certes, on devrait pouvoir en trouver dès le début du XVIII e siècle, mais le système des bois longs perdure – la maison de Sternenberg à l'Ecomusée d'Alsace, du milieu du XVIIIe siècle, en est un exemple)- avec toujours davantage de résistance et de longévité à mesure que l'on se déplace vers l'ouest-sud-ouest, autrement dit de part et d'autre de la « frontière », un peu comme si celle-ci étaient une barrière identitaire marquée par un affichage exacerbé d'archaïsmes ; ce qui est contredit par la perméabilité de cette frontière aux échanges humains en dépit de la différence de parlers. La cartographie d'autres faits constructifs, par exemple la couverture des toitures en chaume, est parfaitement superposable à celle de la résistance de techniques et de styles de charpentes anciens.
Ces observations nous alertent sur la faible consistance de la notion de « pays », micro territoires homogènes dont le Sundgau est l'un des archétypes dans les représentations de l'Alsace : ces territoires sont en réalité divisés en gradients temporels. Seule la constitution de corpus étendus de bâtiments datés et cartographiés permet de comprendre qu'une homogénéité architecturale apparente s'estompe dès lors que prend en compte les décalages chronologiques considérables –jusqu'à 150 ans- , sur de très petites distances, dans l'adoption d'une combinaison donnée entre l'image de la maison et son mode de construction. Des variations économiques locales –par exemple la présence ou non de la vigne- accompagnent le phénomène, sans pour autant contribuer à l'expliquer.
 
Qui habitait cette maison ?
 
Au-delà de la question de la définition réelle d'un territoire, qui ne peut être réduit à ses caractères physiques, ces séries de maisons de la reconstruction d'après Guerre de trente ans m'intéressaient à plusieurs titres. En premier, le jeune médiéviste que j'étais, assez frustré devant la nature « récente » du patrimoine bâti de Gommersdorf, est allé spontanément vers les maisons les plus anciennes (que dans mes premiers travaux j'avais du reste vieilli d'une génération, les situant vers 1650 faute de séries datées) . Commençant à les connaître quelque peu, il m'a été facile de situer par rapport à elles d'autres maisons qui avaient échappé à l'attention jusqu'à présent, sauf le sempiternel exemple rebattu depuis Staatsmann de la maison de 1551 à Wolfersdorf.   Assez rapidement, je me suis retrouvé avec de magnifiques séries de maisons antérieures à la Guerre de trente ans, que je ne pouvais classer que par chronologie relative puisqu'en ce temps là les analyses dendrochronologiques étaient inaccessibles. Ces découvertes mettaient à mal plusieurs idées reçues, à commencer par celle d'une Guerre de trente ans qui aurait fait table rase du bâti : en réalité et bien entendu de façon variable selon les villages , ce bâti avait  traversé sans encombres la guerre et l'abandon dans des proportions significatives. La deuxième idée reçue, conséquente de la première, était celle d'un renouvellement quasi complet de la population par les immigrations et colonisations d'après-guerre, et de manière sous-jacente, l'introduction de modes de construction « exogènes ». Or, même si je n'ai pas trouvé pour l'instant de quoi remplir le blanc entre 1560 et 1680, dans cette zone, la continuité des traditions, c'est-à-dire l'évolution lente dans une même culture de la maison, me paraît tout à fait fondée.
Ces idées reçues étant corrigées, la question posée est celle du statut des maisons de la décennie 1680 que nous avons sous les yeux aujourd'hui. Ces maisons sont elles réellement représentatives, ou ne sont-elles que des exceptions, les plus remarquablement et solidement construites ? Je sors de ce questionnement premier avec beaucoup plus de nouvelles questions que de réponses.

Figure 11 :  maisons de la décennie 1680 à Gommersdorf, 5B est plus vraisembablement de la deuxième moitié du XVIe s. (suivant mes recherches postérieures à la rédaction de cet article)
 
Quelles sont-elles, ces maisons de la décennie 1680 à Gommersdorf ? 6 maisons en ont les caractéristiques, mais on peut d'embler ménager une place à part à la maison 5B qui, avec son registre de croix de St André au niveau des combles, est atypique et pourrait bien s'inscrire dans le « blanc documentaire 1560-1680 ». La maison 7 K, remarquable par les fenêtres des combles à linteau sculpté en accolade, ne nous intéresse que d'un point de vue statistique, les colombages des deux premiers étages étant pour partie enduits, pour partie remplacés par des maçonneries en sous-œuvre. Certainement plusieurs autres maisons du village, sous les enduits, se révèleraient dater de la même période. Mais on n'a pas pu toutes les scruter, comme l'avait fait le Laboratoire d'études techniques de l'Equipement de l'Est par mesures thermiques, pour la maison 4 F.
Les quatre échantillons complets appartiennent à deux familles. La première, celle de la maison de 1682, se distingue par le recours aux croix de St André à branches courbes. Les décharges se font face. L'autre famille ignore les croix de St André et les décharges s'ouvrent en V, dans la position inverse de leurs sœurs (ou cousines ?). La maison 7 H porte, sur le poteau d'angle de la Stube la date 168.
Au total, ce qui est repérable aujourd'hui du bâti constitué après la Guerre de trente ans représente 15% (et non 40% comme je l'avais surévalué dans des études antérieures) du bâti du village, localisé majoritairement du côté sud-est de la rue : soit que ce côté, le plus favorable en termes d'exposition, ait été colonisé en premier, soit que les maisons construites du côté ouest aient moins bien résisté, en raison de leur exposition aux pluies.
Tentons à présent de recouper l'observation du terrain avec les sources écrites.
Nous savons, d'après les comptes des dîmes, qu'en 1671, l'intégralité du terroir est cultivé, contrairement aux villages du Traubach qui au même moment ne sont encore qu'à 2/3 de reconquête.
En 1659, déjà, le village compte 13 feux dont 7 laboureurs.
12 ans plus tard, en 1671, le nombre de laboureurs a doublé, alors que le nombre de feux n'a augmenté « que » de 50% passant à 19 feux. La situation est ensuite stable jusqu'à la fin du siècle : en 1698, on constate un diminution (un laboureur de moins) et une augmentation (un feu de plus). Au passage, on note que les deux tiers des patronymes de 1659 ont été laminés. Il semblerait que l'essentiel de la stabilisation du repeuplement du village se soit fait avant 1671. Mais où habitaient les 13 laboureurs –ne parlons pas des autres dont l'habitat était sans doute précaire- ? Eux-aussi dans de l'habitat précaire ou temporaire ? Constructions de fortunes ou ruines de guerre aménagées ? On n'en sait rien. tout au plus constate-t-on que la maison 4 F, associée à une grange à poteaux du XVIe s., comporte un pignon arrière lui aussi du XVIe s., tout le reste de la maison ayant été reconstruit vers 1680.


Figure 12 : en vert structures du XVIe siècle, en bleu structures vers 1680. Cet extrait du plan d'alignement de Gommersdorf en 1855 permet de juger de la proportion des maisons les plus anciennes. Pour une époque que l'on pourrait supposer offrant de l'espace disponible, les maisons 4 E et 4F sont curieusement collées l'une à l'autre. On constate que la maison 4 F a été reconstruite sur un schéma antérieur. La maison 4 E est elle construite de telle façon qu'on ne voit pas où pouvait se situer la grange d'origine. Peut-on penser à un enclos familial, l'une des deux maisons étant affectée aux parents retirés de la conduite de la ferme ?
 
Mis à part ce mystère sur les conditions de vie des laboureurs de Gommersdorf avant 1680, force est de constater que les 6 maisons subsistantes de la décennie 1680 représentent quasiment 50% du nombre de feux de laboureurs à cette époque. Il n'y a donc pas de doute sur la valeur de représentativité de ces maisons, et par voie de conséquence de la maison transférée à l'Ecomusée d'Alsace.

figure 13 : états de la population de Gommersdorf en 1659 , 1671 et 1698
 
Séparées pendant trois siècles, les cousines de Gommersdorf et de Hagenbach sont réunies à l'Ecomusée d'Alsace
 
Nous avons dit que le démontage et la reconstruction de la maison de Gommersdorf sont intervenus en 1986-87 . Une maison du village voisin, Hagenbach, avait été démontée par nous sauf erreur en 1983, et remontée dans la foulée en hiver 1983/84. Nous n'avions pas encore l'analyse dendrochronologique et ne savions pas au moment du démontage, que la maison était exactement tricentenaire. Ne revenons pas sur les caractéristiques constructives de cette maison, qui ne différent pas de ce qui a été vu précédemment, sinon que le pignon ouest, sur la rue, a été remanié au XVIIIe siècle, par l'introduction de décharges autonomes par étages venant remplacer les décharges continues, elles encore présentes au niveau des refends et du pignon arrière.
Figure 14 : vues des pignons sur rue et arrière de la maison de Hagenbach pendant son démontage
Figure 15 : les pignons de la maison de Hagenbach sur le plancher de trace à l'Ecomusée d'Alsace
 
Lorsque la maison de Gommersdorf est venue rejoindre à l'Ecomusée sa voisine et contemporaine de Hagenbach, nous nous sommes aperçus de leur similitude, surtout lorsque l'on compare leurs murs pignons côté rue, étant précisé que à Gommersdorf le pignon regardait vers l'Est et à Hagenbach vers l'ouest. Pour être pertinente, la comparaison suppose que l'on retourne l'un des pignons.

Figure 16 :en haut superposition de deux pignons de Gommersdorf (maison 7H retourné), en bas des pignons de Gommersdorf (en orangé) et de Hagenbach , ce dernier retourné.
 
On voit que les cotes des deux pignons sont sensiblement équivalentes en ce qui concerne la hauteur des deux étages et la largeur. Passons sur l'écart de pente de toit qui s'explique : la maison de Gommersdorf est flaquée d'une galerie en encorbellement couverte par un coyau : afin que la pente du toit de la galerie ne soit pas trop faible, il convient d' accentuer l'inclinaison du toit principal.
Sur la structure du pan de bois des deux étages, la seule différence notable est un décalage apparent du poteau de refend séparant Stube et Stuvakammer. Cette différence n'est qu'apparente. Lorsque l'on superpose les plans, il apparaît que ces variations résultent de la déformation des bâtiments, et qu'au départ ces maisons ont été construites selon des dimensions et une sur une trame quasiment identiques, en ce qui concerne la travée côté rue (celle de la Stube) et la travée arrière (Kuchikammer et Kleinistuva). Seul l'élargissement de la travée d'entrée –et par conséquent de la cuisine- confère à Gommersdorf une longueur plus importante.
Figure 17 :  superposition des plans des maisons de Gommersdorf(en orangé) et Hagenbach, ce dernier retourné
 
A présent si l'on compare la maison de Gommersdorf à une autre de même génération dans le même village, on trouve une trame similaire, l'écart se faisait ci dans le sens de la largeur au détriment de la Stuvakammer. On pourrait presque parler de réduction homothétique.
La parenté des deux maisons de Gommersdorf et celle de Hagenbach ressort aussi du tableau des surfaces. Il est évident qu'il serait nécessaire l'élargir l'échantillon et de relever les bâtiments selon une méthode neutralisant les écarts de cotes dus aux déformations, surépaisseurs de murs et autres facteurs d'imprécision des comparaisons. Néanmoins, plusieurs indices plaident en faveur de l'existence de conventions normatives, régulant les variations d'un bâtiment à l'autre, en privilégiant le rapport entre la surface de la Stube et la surface cumulée des quatre pièces constituant le noyau de la maison; les trois autres pièces formant variable d'ajustement. Ces observations nous permettent-elles de nous faire une première idée sur la façon dont le maître d'ouvrage et le charpentier formulaient le programme de la construction ? Et quelle était l'importance de fondations préexistantes dans la formulation du programme ? Nous n'en savons rien. La seule chose certaine est qu'à tout moment, sur le plancher de trace, le maître d'ouvrage pouvait visualiser la forme prise par le bâtiment et, sans doute, y apporter des corrections de détail.

Figure 18 : tableau des surfaces des maisons de Gommersdorf et Hagenbach, les % correspondent à la part de chaque pièce dans le noyau de la maison (on ne tient pas compte des Kammera arrières)
Figure 19 : détails de la maison de Gommersdorf in situ (1986) : banc de coin de la Stube- plaque entre la cuisine et la Stuvakammera datée 1789- évacuation de la pierre d'évier- fourneau dans la cuisine (lessiveuse ?) – fumoir ou Rauchkammer- fenêtre à croisée de la Kuchikammera
Figure 20 : démontage par étapes du four à pain de la maison de Hagenbach
Figure 21 : dans le fond de la cuisinière, des carreaux de terre cuite vernissée (décor bleu sur fond blanc) réutilisant sans doute les carreaux du poêle de la Stube, communiquent la chaleur à la Stuvakammer
 
A ce point de notre exposé, nous en avons fini avec ce que ces maisons peuvent pour l'instant nous dire. Peut-être que d'autres, demain, les interrogeront sur des bases nouvelles. Il me reste à évoquer comment j'ai utilisé ces maisons dans le propos du musée.
Comment je faisais évoluer le plan-masse de l'écomusée

Figure 22 : sur cette vue aérienne récente du quartier de l'Ecomusée d'Alsace dédié au Sundgau, la flèche rouge indique le cheminement qui était prévu à l'origine pour les visiteurs du musée.
 
J'ai expliqué ailleurs comment le plan masse du musée s'est organisé à partir du chantier central qu'était le plancher de trace, et comment la « rue des pignons du Sundgau » s'est constituée à partir des maisons de Sternenberg, Schlierbach et Hagenbach. Optiquement cette rue était beaucoup plus longue, puisque je m'étais arrangé pour sa perspective intègre le pignon de la maison de Waltenheim et de la grange de Steinbrunn-le-bas. J'avais volontairement laissé une trouée dans le front construit d'arrière plan pour que le chevalement du carreau Rodolphe s'inscrive dans la perspective.

 Figure 23 : le carreau Rodolphe mis en perspective par la rue du Sundgau
 
Quelques mois avant l'ouverture du musée, je pensais encore que son entrée se ferait non au sud, comme c'est le cas aujourd'hui, mais au nord. La maison de Hagenbach était, selon mon scénario de découverte, la première qu'auraient découverte les visiteurs. Cela explique le parti didactique que j'ai pris de laisser la maison sans remplissage, de façon à ce que les visiteurs du premier coup d'œil comprennent la fonction des colombages –la grande majorité des gens sont habitués à les considérer comme des décors-.

Figure 24 : quelques aspects du remontage de la maison de Hagenbach. On voit que François Wurth a pris le parti de commencer le montage par la nef la plus étroite, celle des Kammera et de la cuisine
 
Une anecdote : cette pauvre maison de Hagenbach, quels que massifs aient pu être ses pans de bois, était affaiblie.Les deux murs gouttereaux s'étaient –in situ- enfoncés dans le sol, tandis que le refend longitudinal, hors gel, était resté en place. Il en résultait que le solivage du comble était quasiment brisé en deux par la force des affaissements à chaque extrémité. Compte tenu de cette fragilisation structurelle, la maison était étayée. Vint la première tempête, un dimanche, j'étais seul dans le musée et en ce temps nous n'avions pas encore d'émetteurs radio, et encore moins de téléphones portable. La maison vacillait sous les rafales de vent, se penchait, revenait en place bien gentiment aux moments d'accalmie. Il y avait des visiteurs. Je courais comme un dément pour les empêcher d'approcher, mais ça ne les affolait pas. Ils devaient me prendre pour l'idiot du village ou un animateur tenant ce rôle… Dans la foulée, j'ai fait renforcer l'objet par des tirants métalliques, mais il faut continuer à surveiller. J'espère que mes successeurs s'en préoccuperont.
J'en reviens à ce parti didactique, selon lequel Hagenbach permettait de comprendre la structure, la maison suivante, Schlierbach, faisait percevoir l'épaisseur du temps, et enfin Sternenberg était la présentation de l'écosystème vivant de la maison. Finalement, peu avant l'ouverture du musée, une autre option a été prise pour la voie d'accès et toute ma progression pédagogique, ma perspective de rue, et ma mise en scène du carreau Rodolphe ne fonctionnaient plus. Les visiteurs rentraient à l'endroit opposé de celui prévu initialement. Du coup, « ma » rue du Sundgau venait mourir absurdement dans la lande, dans le « désert des Tartares » . C'est à ce moment que j'ai pris la décision de « bloquer » la rue et de verrouiller le désert des Tartares par la maison forte –qui était aussi un projet initialement plus modeste que ce qu'il en est advenu par la suite-.
Mais en même temps, la dynamique de chantier s'est aussi accélérée et nous avons dû accueillir de plus en plus de maisons. C'est à ce moment que j'ai renforcé l'importance de la maison forte en l'entourant d'une enceinte, le contournement de celle-ci justifiant une nouvelle rue sur laquelle j'ai pu greffer le moulin à huile de Koestlach –et par appariement avec la maison forte le grenier à grains du château de Hirtzbach- et la maison de Gommersdorf. Ce schéma aurait permis de continuer à accueillir des maisons du Sundgau. Il faut aussi se rappeler que dans cette zone, on commençait à se heurter aux limites du terrain initial. Ce n'est qu'avec la création d'Ecoparcs en 1989 que la commune consentit des extensions foncières.

Figure 25 : évolutions du plan-masse du quartier du Sundgau , de gauche à droite et de haut en bas : la rue du Sundgau début 1983- la maison forte vient arrêter la rue à partir de 1985 (photographie 1988)- j'élargis le périmètre de la maison forte et crée un embranchement en Y, ce qui justifie aussi l'avant-place du lavoir – en vert les directions d'extension du quartier du Sundgau, telles que je les envisageais et telles que je ne pourrai pas les réaliser
 
La construction des maisons de Hagenbach et de Gommersdorf est due à François (Frantz) Wurth. Les deux remontages eurent lieu dans des conditions difficiles, en hiver. Selon le parti adopté à l'origine, Hagenbach est resté vide. Je n'ai rempli que les murs des foyers de la cuisine, celui de la Stuvakammer intégrant une plaque en fonte –c'est peut-être celle de la maison de Gommersdorf, je n'ai pas sous la main la documentation pour l'assurer- ; contre celui de la Stube s'adosse un poêle en fonte fin XVIII e siècle d'un modèle courant dans l'ouest du Sundgau.

Figure 26 : fourneau en fonte (provenant d'un des Traubach ?) dans la Stube évidée de la maison de Hagenbach à l'Ecomusée
 
J'aurais voulu compléter cette maison par une grange, c'était tout à fait indispensable à la clarté de la présentation, mais n'a jamais pu se faire. A un certain moment, cette maison squelette m'a aussi paru un peu trop macabre, et un peu trop basique dans son propos. Je l'ai alors mise dans les mains de l'artiste Louis Perrin, qui a inséré dans certains panneaux des compositions de visages, à dominante bleue pour dialoguer avec la maison voisine de Schlierbach, chaque scène des ces « instants de Hagenbach » suggérant la fonction initiale des ces pièces balayées par le vent.

Figure 27 : états de la maison de Hagenbach en 1983 et « aujourd'hui ». En haut pignon sur rue, en bas pignon arrière.
Figure 28: charpente de la maison de Gommersdorf, état début 1987
 
La nouvelle vie de la maison de Gommersdorf

Figure 29 : le jardin, le four à pain et la galerie de la maison de Gommersdorf à l'Ecomusée d'Alsace
 
L'idée qui a conduit la reconstruction de la maison de Gommersdorf était de se rapprocher le plus possible de son état premier, ce qui était pleinement justifié par son parfait état de conservation. Les tuiles neuves bien rouges –nous comptions sur une patine naturelle qui n'est jamais venue- généreusement offertes par les tuileries Sturm correspondaient à ce choix. Dans la pratique, le torchis exposé à l'Ouest s'est bien érodé, tandis que les tuiles n'ont pas varié. L'idée de faire un café de village dans cette maison coulait de source : on était au bout du musée d'alors, dans un endroit où les visiteurs avaient besoin de se poser et de se reposer. Nous avions déjà un restaurant, la taverne, dans la maison de Hésingue 2, que nous avions créée en 1985. L'afflux imprévu du public rendait incontournable la création d'un deuxième lieu de boissons et de petite restauration. Par un de ces habituels clins d'œil de l'histoire, nous avions abandonné la vraie auberge du vrai village de Gommersdorf, mais elle se clonait à l'Ecomusée. Dans ces années, et jusqu'en 1990, nous avions concédé les activités de restauration à une filiale de Swissair, dont le patron Samuel Reusser nous aida à financer le projet de Gommersdorf. Dans son jardin secret, à lui qui gérait des infrastructures de restauration gigantesques, il y avait une toute simple auberge de campagne, quelques tables sommaires sous une terrasse ombragée , la musique de l'eau d'une fontaine rafraîchissant les bouteilles… Nous le fîmes ainsi.

Figure 30 : la fontaine sur la terrasse de l' « Auberge de Gommersdorf », un assemblage hétéroclite d'une colonne venue d'on ne sait où, d'auges de Gommersdorf et d'une très fine statue XVe siècle de Ste Marie-Madeleine. Cette Marie-Madeleine était aussi arrivée à l'Ecomusée d'une curieuse façon. Nous avions besoin d'une quantité phénoménale de pierres calcaires pour la construction des remparts de la maison-forte, et avions entre autres acheté à un démolisseur tous les matériaux du mur du cimetière d'Obermorschwiller, un village où notre association avait beaucoup travaillé…En triant les matériaux de démolition, nous avons eu la surprise d'y trouver cette statue malheureusement sans visage.
 
A l'intérieur, rien ne fut changé dans la disposition de la maison, dont les foyers furent intégralement reconstitués : un four à pain qui servait à des démonstrations quotidiennes, une cuisinière, l'alimentation du poêle en fonte de la Stube, et un fumoir que nous avons utilisé de nombreuses années jusqu'à ce que nous abandonnions, lassés par la complexité de faire vivre un système traditionnel dans les contraintes d'une organisation salariée. Une partie de l'équipement de la Stube, notamment les luminaires, était celui que j'avais acheté pour ma propre maison que je venais d'acquérir, et qui finalement était tellement plus nécessaire à l'Ecomusée, pour finir cette maison , « à l'arrache » comme toutes les autres, pour le mois de mai 1988.

Figure 31: l'entrée dans la Stube de l'Auberge de Gommersdorf -  un exemple des nombreuses rencontres intelligentes et créatives qui se sont déroulées dans ces lieux. Ici nous recevons en 1989 le réputé muséologue Kenneth Hudson, à droite Bénédicte Nyyssonen qui fut ma collaboratrice de 1983 à mon départ de l'Ecomusée d'Alsace.
 
Les portraits quand à eux étaient ceux d'une famille Bilger de Sierentz. Une fois, attablé dans cette Stube, j'observais une visiteuse qui faisait une longue station devant chacun de ces portraits. Intrigué, j'engageai la conversation avec elle, et elle me parla de ces vieux morts, de sa famille, engagés dans la vie associative et l'intérêt général de leur commune. Je suggérai alors à cette dame que l'on réalise un panneau explicitant ces portraits. Elle me dit alors : « Monsieur, ces gens ont tellement souffert pendant leur vie de tout le bien qu'ils ont fait aux autres, que j'ai donné leurs portraits au musée. Là ils sont anonymes, plus personne ne vient les embêter et je peux leur rendre visite dans un cadre qui m'aide à penser aux ancêtres. Aussi, laissons-les en paix ».
Cette Stube était un peu un quartier général des bénévoles. Ce sont d'ailleurs des bénévoles, Alice Schneider, Roger Bauer, qui firent tourner l'auberge au début. Beaucoup, beaucoup de fin de journées d'animations, notamment celles des gros travaux agricoles, se terminaient là. Les anciens critiquaient, mettaient sur la voie de l'amélioration, racontaient mille histoires qui restaient ensuite comme en suspension dans l'air de la pièce. Roger Weiss, l'entrepreneur de battage, et Alice Schneider, étaient de remarquables chanteurs et chaque soirée avait sa partie récital. Plus tard, un groupe de bénévoles continua cette tradition en s'installant dans la Stube, surtout en hiver, pour faire chanter les visiteurs au son de l'accordéon de Robert Schreiner. Et Freddy Ohrel s'y entendait comme pas un à jouer son faux vrai propre rôle de paysan au bistrot, animant de bruyantes parties de cartes.

Figure 32 : le comptoir dans la Stube de la maison de Gommersdorf
 
A côté du vulgum pecus que nous sommes, des hôtes de marque, de tous les horizons et de tous les milieux –la politique et la haute administration, la finance- mais aussi et heureusement des intellectuels et des artistes, ont fréquenté cette maison. Je finis par ne plus y tenir mes entrevues les plus stratégiques. La chaleur et la convivialité de l'endroit étaient tels que, je m'en aperçus à mes dépens, les hôtes prenaient ici de bonne foi, emportés par l'enthousiasme, des engagements qu'ils se révélaient ensuite totalement incapables d'honorer.
Au cours d'une de ces joyeuses soirées, il en fut une où un hôte prit un énorme engagement… et le tint. C'était Maurice Picoux, le patron d'Inter-Alsace, complètement sous le charme des lieux et qui me dit ce soir là « Marc, mon entreprise te mécène une maison complète, tout ce que je te demande est qu'elle soit aussi belle que celle-ci et au bord de l'eau ». Ce qui fut fait avec la construction, à côté, de la maison de Hégenheim, mais cela,  c'est déjà une autre histoire.

Marc Grodwohl (2007)
Note mars 2012: les passages sur la "généalogie" des formes de pans de bois sont à revoir, en fonction de mes recherches de 2010 ("Habiter le Sundgau") et 2011 (Wolfersdorf).