Revue « L’architecture vernaculaire » : appel à articles

« L'architecture vernaculaire » est une revue fondée en 1977, éditée par le CERAV (Centre d'études et de recherches sur l'architecture vernaculaire) dirigé par Christian Lassure. La revue est centrée sur la production de l'espace bâti en milieux ruraux. Elle réunit des études de cas, bâtiments isolés ou séries, dispositifs habités permanents ou temporaires, et met l'interrogation de ces objets au carrefour multplidisciplinaire imaginé au début des années 1980, à travers la fondation du concept de patrimoine ethnologique par Isac Chiva. En dépit de cet appel à coopérer entre disciplines –anthropologie, géographie, histoire, archéologie notamment- il fut longtemps difficile d'ériger l'architecture vernaculaire comme un champ de recherches sérieuses, autonome des discours dominants : « valorisation patrimoniale » et son cortège de représentations d'une part, abstractions parfois hâtives reposant sur une observation insuffisante des objets d'autre part. Depuis peu de temps, textes et colloques traduisent un regain d'intérêt, un retour au terrain, une nouveauté et un élargissement des champs spatiotemporels de la recherche. Il ne manque aujourd'hui ni de chercheurs, ni de sujets. « Architecture vernaculaire » , en tant que revue en ligne, offre à présent aux recherches la possibilité de s'exprimer, de se diffuser et de se confronter de manière régulière, sur un support permettant la rapidité de publication, sans contrainte lourde sur la dimension des textes et leur densité iconographique.
 
La ligne éditoriale de ce numéro 38, qui est aussi le numéro 0 d'une formule renouvelée, nous amène à solliciter des textes qui, s'ils resteront fondés sur des études de cas, comporteront deux parties générales : l'une introductive d'ordre épistémologique permettant au lecteur de situer le point de vue de l'auteur ; l'autre conclusive, autant que possible comparative, dans le temps et dans l'espace, mettant en évidence l'apport de cette étude de cas à la connaissance générale. En respectant cette construction, l'auteur facilitera au public, élargi à des non spécialistes, le meilleur accès à sa contribution.
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Vous pouvez d'ores et déjà consulter dans la revue en ligne « L'architecture vernaculaire » l'article suivant :
 
Annexe : quelques tentatives de définition.
Une maison « vernaculaire », « rurale » ou « paysanne » ?[1]
 
Pour contribuer à une définition de l'objet de nos recherches, je reproduis ci-après un extrait de ma contribution au colloque d'avril 2008 à Nîmes :
« Le développement culturel : un avenir pour les territoires ? »
 
« (…) Pourquoi, alors, tous ces détours, et parler de patrimoine vernaculaire alors que notre sujet ici est l'architecture paysanne ? On doit bien alors, rappeler un peu vite, avec des traits un peu forcés, comment l'objet « maison paysanne » est passé de mains en mains sans avoir eu le temps de brûler l'une ou l'autre au passage. On sait que la notion d'habitat rural est mise au point en France par Vidal de la Blache à partir de 1910, et dans son sillage Albert Demangeon, Jean Brunhes[2]. L'objet étant constitué par la géographie humaine, les recherches s'orientent vers une classification morphologique, en vue de cartographier les différences régionales ou, dirions-nous aujourd'hui, locales, imputées pour une bonne part aux contraintes du milieu physique. Pour Demangeon[3], « l'habitation rurale est avant tout un fait d'économie agricole », d'où « un classement d'après leur plan interne, d'après le rapport qu'elles établissent entre les hommes, les animaux et les choses, c'est-à-dire d'après leur fonction agricole ». Jean Brunhes ne dénie pas l'apport incontournable du « matériau ethnographique », qu'il définit comme un ensemble d' « accessoires obligés des faits de la géographie humaine, échappant à la tyrannie du cadre géographique » et à ce titre ne pouvant pas être placés, au risque de « grave erreur » sur le même plan[4]. On sait qu'auparavant, les anthropogéographes allemands soutenaient l'idée de déterminants culturels pouvant l'emporter sur tous les autres, les fonctions modernes venant habiter une diversité de formes ethniques, voire « raciales », retraçant les vagues successives de population au Haut Moyen Age. En France, avec des visées nationalistes d'un autre ordre, le pendant en serait le foklorisme ; il se manifeste semble-t-il la première fois en 1913 sur le sujet de l'habitat en usant du vocable « maison paysanne », démarquée de « l'habitat rural » des géographes[5].
 
Dans une étape suivante, de part et d'autre de la Deuxième guerre mondiale, les géographes laissent la place aux ethnologues, de retour au pays. Ils transposent dans le proche les méthodes élaborées ailleurs, en poussant du coude les folkloristes, inventeurs de l'ethnographie régionale française. Les travaux d'ethnologie des techniques d'André Leroi-Gourhan[6] se prolongent dans l'œuvre de Georges-Henri Rivière, qui les donne à voir au public. Ce sera la longue gestation du Musée national des arts et traditions populaires, conçu dès 1937 mais qui n'ouvrira au public de manière permanente qu'en 1972. C'est à l'initiative de Rivière que la « maison paysanne » relevant de « l'architecture folklorique »[7], sera puissamment documentée par les enquêtes de 1942 à 1946 du Musée national des arts et traditions populaires.
L'importance donnée aux systèmes techniques, que Leroi-Gourhan ordonne en ensembles qu'il qualifie d'états socioéconomiques des groupes humains, est un renversement de point de vue. Les identités locales, certes informulées dans ces termes, et rangées aux accessoires, sont reconnues en creux par les géographes. L'ethnologie technocentriste, elle –je force le trait- rattache les sociétés à des états, les déterminismes physiques locaux et l'épineuse question de leur périmètre passent à leur tour au rang d'accessoire.
 
La nouvelle ethnologie française d'inspiration levi-straussienne balaiera les relents vichystes attachés aux notions de maisons paysannes, « maisons de pays » réputées représenter les « 500 pays qui font la France ».
Le vocable « Maison paysanne » resurgit néanmoins dès 1964, portant en germe la renaissance des pays, en dénomination d'une association qui rattache l'habitat rural aux grandes familles d'architecture provinciale, déjà regroupées dans des associations de propriétaires de château et de grandes demeures qualifiées d'historiques.
Dès lors trois vocables commencent à coexister : celui, ancien, d'architecture rurale, celui de maison paysanne qui appartient dans un premier temps aux propriétaires de résidences secondaires, et à partir semble-t-il du début des années 1970, celui d'architecture vernaculaire. 
Selon Michel Parent (1975)[8] ,se référant à l'étymologie de vernaculaire –vernaculus, « indigène », issu de verna, « esclave né dans la maison de son maître »- , ce terme est venu qualifier l'architecture populaire rurale, combinaison de l'habitation et du travail, en opposition aux architectures savantes où l'emportent les fonctions de représentation du pouvoir. Il y voit une « machine à habiter et à produire », mais post-modernisme architectural oblige, aussi « une machine à penser » se « référant aux systèmes des croyances traditionnelles ». L'absence d'architecte est un facteur déterminant, qui cependant élargit le champ du vernaculaire à d'autres productions telles que les églises rurales, les moulins et autres équipements. Pour Parent, cet élargissement diluerait les critères et affaiblirait « un concept où l'intention humaine se manifeste clairement à travers la promotion du travail et des rapports riches et complexes de l'homme à la nature ».
L'archéologue Christian Lassure[9] (1983) se range dans ses travaux à la définition d'Eric Mercier (1975) selon laquelle la qualité de « bâtiments vernaculaires » désigne un état spatial et quantitatif, qualifié par la densité de multiples d'un même type dans une zone et une époque données. Dès lors, une forme ou un type peut être vernaculaire dans une zone, et non dans l'autre, et passer du non vernaculaire au vernaculaire en changeant de contexte spatio-temporel. Cette définition contribue à démonter le mythe d'une élaboration empirique de la maison, locale et en circuit clos. Christian Lassure enrichit cette définition en mettant en cause la valeur représentative des constructions observables aujourd'hui, celles qui ont été conservées étant les mieux construites, émanant vraisemblablement des classes dominantes, et il en appelle à l'archéologie de l'au-dessous et de l'au-dessus du sol pour constituer un corpus pertinent.
Présentant une oeuvre de poids, le « Corpus de l'architecture rurale française », dont la publication s'échelonne de 1977 à 1986, Jean Cuisenier [10]évite le terme de « vernaculaire » dans ce chantier d'actualisation des monographies de « spécimens » constituées entre 1942 et 1946, en visant des entités épistémologiques différentes, dont la logique sociale de l'espace. A cet égard, il distingue les « genres » catégories susceptibles d'être saisies par les habitants, et les « types » catégories mises en valeur par l'ethnologue, ce qui permet de mesurer l'étanchéité de la frontière avec les définitions mises au point par la géographie historique[11]. Elle apparaît par exemple lorsque Jean-René Trochet[12] définit le «type » comme un profil particulier de maison, le« modèle » étant l'extension d'un type sur une aire géographique.
Jean-René Trochet partage avec Cuisenier la réticence à recourir au terme vernaculaire, lui préférant celui de « maison paysanne » qui isole bien l'objet de ses travaux dans le champ des habitations rurales, qui ne sont pas, loin s'en faut, toutes des maisons de paysans. Il va plus loin en faisant suivre « maison paysanne » par « traditionnelle », la tradition désignant ici un espace social et temporel, la « société traditionnelle » recouvrant « complètement la géographie historique des maisons paysannes françaises de la fin du Moyen Age (à la) révolution industrielle et agricole des XIX et XXe siècles, qui transforma brutalement ces structures avant de les briser ». On mesurera qu'entre la publication du « Corpus » et celle de Jean-René Trochet intitulée « Maisons paysannes en France » (c'est nous qui soulignons), vingt ans ont dû passer avant que le sujet ne retrouve une certaine actualité sous la forme de grande synthèse nationale[13]. On note aussi qu'il est à nouveau possible de désigner l'objet –au sens d'artefact- par son nom, sans ce que cela ne vaille ipso facto à son locuteur un procès en idéalisation de l'âge d'or paysan.
Le même écart de 25 ans en moyenne se manifeste dans les approches thématiques transversales et transculturelles. Après l'édition française de « Pour une anthropologie de la maison » d'Amos Rapoport en 1972[14], ce n'est qu'au cours de ces toutes dernières années que des audacieux prendront le risque de proposer des synthèses ne tournant pas délibérément le dos aux sciences historiques. L' « ethnologie de la chambre à coucher » de Pascal Dibie[15], « Le toit, seuil du cosmos» de Thierry Paquot[16], interrogent à nouveau la place des cultures locales dans le fait universel d'habiter en société. Le moment était aussi venu pour que l'œuvre majeure de John Brinckerhoff Jackson[17] (1976 à 1984) soit éditée en français (2003, 2005). »
 
Marc Grodwohl
Avril 2008


[1] Dans le parler local, une maison dans laquelle s'exerce toujours une activité agricole est «  a bürahüs », une  « maison paysanne », et une maison à colombages réduite à l'habitat « a elsasserhüs », une « maison alsacienne », et il en va de même dans l'Allemagne des « Heimet » où la maison est qualifiée par son appartenance régionale et est, implicitement, paysanne.
[2] Jean BRUNHES, « La géographie humaine »,Ed. Presses universitaires de France, 1942.
[3] Paul DEMANGEON, « L'habitation rurale en France, essai de classification des principaux types »(1920) cité par BRUNHES, op.cit. p.62.
[4] Jean BRUNHES, op.cit. p.265.
[5] Selon Christian LASSURE, « L'intangible trinité : la maison « traditionnelle », la maison « de pays », la maison « paysanne » », article paru initialement dans le tome VIII, 1984, de la revue « L'architecture vernaculaire ». En Allemagne le vocable « maison paysanne » (« Bauernhaus ») est employé régulièrement dans les titres des publications d'envergure à partir de 1887, cohabitant avec celui de « maison allemande » qui apparaît en 1882 avec un développement de la thèse du déterminisme ethnique par Adolf MEITZEN, « Das deutsche Haus in seinen volktümlischen Formen », Strassburg,1882.
[6] André LEROI-GOURHAN, « L'homme et la matière »,Ed. Albin Michel, Paris, 1943,1971, rééd. 2004.
[7] Jean CUISENIER, « Le corpus de l'architecture rurale française »,in Terrains : « Habiter la maison ».Ed. Ministère de la Culture, Paris, n°9, octobre 1987
[8] Michel PARENT, « L'architecture vernaculaire rurale, ses modes de conservation et ses limites à l'adaptation », colloque sur l'architecture vernaculaire, Plovdiv 24.09-02.10 1975 in Monumentum vol XV-XVI.Ed. Icomos, 1977.     
[9] Christian LASSURE,        « L'architecture vernaculaire : essai de définition », in supplément No 3, L'architecture vernaculaire, 1983.
[10] Jean CUISENIER(1987) op.cit.
[11] Le Musée de plein air des maisons comtoises de Nancray confie à des ethnologues en 2000 une collecte ethnographique dans le but de préparer la muséographie d'une maison paysanne destinée à être démontée et reconstruite dans le musée. L'article publié par les ethnologues permet de mesurer la distance, dramatique, entre l'ethnologie contemporaine et la tradition du morphologisme géographique technocentré : Laurent AMIOTTE-SUCHET, Pierre FLOUX, « Rendre son hybridité à une maison en cours de patrimonialisation », in Ethnographiques.org, Numéro 1 – avril 2002 http ://www.ethnographiques.org/Amiotte-Suchet, Floux.
[12] Jean-René TROCHET,« Maisons paysannes en France ».Ed. Créaphis, Paris, 2006.
[13] Synthèse nationale et aussi réactivation de la recherche universitaire. Voir : Philippe MADELINE et Jean-Marc MORICEAU (dir.), « Bâtir les campagnes, les enjeux de la construction de la Protohistoire au XXIe siècle ,Bibliothèque du Pôle Rural,               Ed. Presses universitaires de Caen, Caen 2007
[14] Amos RAPOPORT, « Pour une Anthropologie de la Maison ».Ed. Dunod, Paris, 1972.
[15] Pascal DIBIE,    « Ethnologie de la chambre à coucher ».Ed. Métailié, Paris, 2000.
[16] Thierry PAQUOT, « Le toit, seuil du Cosmos ». Ed.Alternatives, Paris 2003.
[17] Notamment : John BRINCKERHOFF JACKSON,« A la découverte du paysage vernaculaire »,   New Haven et Londres 1984, traduction française Ed. Actes sud/Ensp, Arles 2003 et du même :«De la nécessité des ruines et autres sujets »,Amherst (USA) 1980, traduction française Ed. du Linteau, Paris, 2005.