Autopsie d’un fossile de l’écomusée : le pigeonnier d’Oberhergheim

La presse annonce qu’en 2014  l’écomusée d’Alsace fêtera le trentième anniversaire de son ouverture au public -en l’absence (à une exception près) de tous ceux qui ont porté et fait aboutir ce projet de leurs mains et avec leur propre réflexion-. Mais là n’est pas le propos. Celles et ceux qui étaient présents le 1er juin 1984 se remémorent les regards écarquillés des premiers visiteurs pénétrant dans la cour de la ferme de la plaine de Haute-Alsace. Le pigeonnier d’Oberhergheim, tourelle rouge à pois blancs, encadrée par le porche à créneaux, était au centre d’une scène hyperréaliste. Pourtant, nous n’avions fait que reproduire, avec des éléments originaux,  un ensemble dont on peut toujours encore voir des exemples in situ. Mais c’était neuf et net, posé sur une nature encore aride, dévoilé dans la première rencontre entre les auteurs du musée et leur public. Les lignes qui suivent vont présenter sommairement l’opération de sauvetage de ce pigeonnier, puis évoquer les questions historiques soulevées par ce monument aujourd’hui fondu dans le décor, silencieux.

Figure 1. Le pigeonnier d'Oberhergheim tel qu'il se présente à l'écomusée d'Alsace depuis 1984

Des étonnements et ravissements premiers, il reste un ultime témoignage. Le bâtiment eut un si grand impact émotionnel et symbolique qu’il fut choisi par la direction des autouroutes Paris Rhin-Rhône pour figurer sur le panneau d’animation « Ferme du Sundgau » sur l’autoroute A36 (toujours en place trois décennies plus tard…)  Evidemment ce pigeonnier provenant d’une grande exploitation de la plaine n’a rien à voir avec les fermes d’élevage de la partie du Sundgau que traverse l’autoroute. Mais ce n’est sans doute pas très important…

Figure 2. Le pigeonnier d'Oberherheim sur panneau autoroutier

Nous avons présenté dans ces pages certains bâtiments repères particulièrement significatifs du cheminement de l’écomusée (dans sa version première). Il y eut le village de l’expérimentation, Gommersdorf à partir de 1971 (voir l’article), Montreux-Jeune, Lutter où le travail reprend quarante ans après. Une  première maison fut démontée en 1972 (voir l’article), mais jamais remontée. De nombreuses autres furent démontées et entreposées de 1972 à 1980, jusqu’à l’obtention du terrain où se trouve aujourd’hui l’écomusée à Ungersheim. A Pâques 1980, une nième maison fut démontée, dans l’objectif de la remonter aussitôt sur le nouveau site, ce qui fut fait pour septembre de la même année (voir l’article). Le 1er mai, l’association qui s’appelait encore « Maisons paysannes d’Alsace » releva le défi d’un sauvetage in extremis. L’équipe avait été alertée par les sculpteurs Joseph et Léonard Saur sur la démolition imminente d’un remarquable pigeonnier, trônant seul au plein milieu d’une cour de ferme en centre-village d’Oberhergheim (Haut-Rhin). Les granges et étables de cette exploitation, devenue monoculture céréalière  venaient d’être détruites et remplacées par de nouveaux bâtiments. L’ancien pigeonnier gênait et sa destruction était programmée pour les alentours du 1er mai. Le démontage fut assuré dans l’urgence, et terminé en moins de deux jours.



Figure 3. Le pigeonnier in situ à Oberhergheim en 1980, à la veille de son démontage





Figure 4 et 5. Scènes du démontage le 1er mai 1980

La reconstruction se fit dans la foulée, exclusivement par chantiers bénévoles durant l’été 1981. La silhouette haut perchée du pigeonnier demeura un certain temps isolée sur la lande d’Ungersheim. Progressivement s’attachèrent  ce noyau les bâtiments le mettant en contexte. Il y eut la maison d’habitation, interprétation assez libre d’une maison sauvée à Rumersheim, les granges et l’étable, la porcherie et le porche. Ils donnent une image d’une grande ferme (dont l’échelle a été fortement réduite) de la Plaine de l’Ill, une image plus qu’un document dans la mesure où les bâtiments sont de diverses provenances ;  certains avaient été conçus, au départ, pour abriter des services du musée (notamment ateliers et réserves d’objets).


 

Figure 6. Préparation de la charpente avant son remontage, été 1981



Figure 7. Les poteaux sont dressés



Figure 8. Progression du montage de l'ossature

Figure 9. Le projet d'intégration du pigeonnier à un ensemble (extrait du guide du visiteur de l'écomusée, 1984, dessin de Thierry Fischer)


 

Figure 10. Le pigeonnier encore isolé (1982)



Figure 11. Le porche de la cour est en place et les fondations de l'habitation sont posées (1983)





Figures 12 et 13. Un espace privilégié

 

Il était prévu, dans les années 2000,  de repenser le sens de cet ensemble, en le dégageant de ses fonctions de service et en l’ agençant pour lui donner un contenu en rapport avec l’époque et la provenance des différents éléments. Ce projet –qui s’étendait à l’ensemble des constructions rurales du musée- fut stoppé net par ce qu’un doux euphémisme nomme « les difficultés de l’écomusée » en 2006.

 

Aux origines du pigeonnier : les entrepreneurs de l’élevage ovin au XVIe s.

Les grandes fermes de la plaine de l’Ill sont caractérisées par la disposition de leurs bâtiments en carré. L’habitation est à l’angle de la rue et de la cour. Cette dernière est close par un double portail, piéton et charretier, soit à piliers en pierre, soit en voûte couverte. Les granges prennent place au fond de la cour et latéralement à l’étage des étables et écuries. Le pigeonnier trône en position centrale, isolé (pigeonnier-tour dit  en pied) ou à poteaux adossé à la grange, la partie intérieure servant alors de manège à cheval pour le battage des céréales. Le pigeonnier peut aussi marquer et solenniser l’entrée de la cour. Le modèle est explicitement seigneurial : porche clos, mur parfois crénelé, pigeonnier-donjon, et armoiries omniprésentes –on y reviendra-.   Au moins trois de ces grandes fermes à Oberhergheim –dont celle du pigeonnier de l’écomusée- sont rattachées à la famille Schmoll.



Figure 14. Un second pigeonnier, dans la ferme Schmoll rue de l'Eglise à Oberhergheim (faisant pendant à la ferme dont provient le pigeonnier de l'écomusée)

Figure 15. Portail monumental de la ferme Schmoll rue de l'Eglise
 

A travers son histoire, on entrevoit une partie des mécanismes d’accession au pouvoir économique et politique d’une lignée, et on est invité à imaginer et penser la place que tenait un élevage qualifiable de capitaliste dans une région aujourd’hui un peu tristounette et dominée par la monoculture du maïs. Cette histoire est connue grâce à deux passionnantes études  dues à Patrick Schmoll :

P. Schmoll, Une organisation paysanne sous l'ancien régime : la Confrérie des Bergers du Haut-Rhin, Annuaire de la Société d'Histoire des Régions de Thann-Guebwiller, XX, 2000-2003, pp. 100-111

P. Schmoll, Une famille ancienne de la Hardt : les Schmoll (XVIe-XXe siècles), Annuaire de la Société d'Histoire des Régions de Thann-Guebwiller, XXI, 2004-2005, pp. 191-201.

On lira avec intérêt ces articles de fond, qui retracent une trajectoire entrepreneuriale  débutant dans la région de l’Ill-Harth vers 1580, en la personne de Hans Schmoll, éleveur de moutons, berger communal de Dessenheim,  et acteur déterminant de la Confrérie des bergers de Haute Alsace.  Cette confrérie, tombée en désuétude probablement lors de la Révolution des paysans (1525) renaît en 1584. Oublions le tableau  arcadien des bergers et bergères, la simplicité antique et les références bibliques.  La réalité sociale est tout autre, comme le montre très pertinemment l’étude de Patrick Schmoll.  La Confrérie des Bergers est constituée par un groupe social aisé, dans lequel figurent  des exploitants ou intendants de bergeries seigneuriales, comme le Rheinfelderhof  entre Balgau et Rustenhart, ou  Erbenheim à Cernay, toutes deux anciennes granges cisterciennes. La réactivation de la confrérie intervient dans un contexte général d’intensification de l’élevage ovin durant la seconde moitié du XVIe s. à l’initiative de la noblesse. On en a quelques exemples pour des localités proches, en plaine.  Au grand dam de la communauté de village, dont ils usurpent les pâturages communaux, les nobles de Hattstatt créent à Meyenheim une bergerie pour 500 moutons. Vers le même moment (1552) Nicolas de Hattstatt veut enclore son grand domaine de Rouffach confinant à Niederhergheim, la Sommerau –où une ferme seigneuriale d’élevage de bovins (Schweighof) est attestée à partir de 1315- pour le vouer au seul élevage (ovin ?). Le projet d’enclosure ne se réalise pas, en raison de l’opposition déterminée de la communauté de Rouffach qui aurait perdu de ce fait ses accès à ses propres pâturages. L’élevage ovin apparaît comme un secteur économique attractif, où se cristallisent les tensions entre l’élevage intensif (par des  seigneurs et/ou entrepreneurs) et les droits d’usage traditionnels des communautés sur les pâturages communaux.

Le siège de la Confrérie se tient à Hirtzfelden à partir de 1584. Les descendants de Hans Schmoll sont établis dans ce village au milieu du XVIIe s. où subsiste la tombe (1682) de Jean senior, l’épitaphe et une crosse de berger évoquant  sa fonction de maître de la corporation. Dans le même village de Hirtzfelden, un quadrilatère face à l’église, délimité par la rue principale, la rue vers Fessenheim, et la Schmollagassle,  correspond probablement à une ou à la ferme Schmoll du XVIIe s. Une murette de jardin remploie une pierre gravée portant la date 1694, les initiale M. S. et une croix patriarcale.



Figure 16. Les tombeaux meurent aussi. La dalle funéraire de Ioanes (Jean senior) Schmoll, décédé en 1682, telle que la vit Théobald Walter au début du XXe s. Photographie non datée, extraite de l'ouvrage: SCHELCHER Raymond. Hirtzfelden à l’orée du Rotleibe. 448 p. Ed. Commune de Hirtzfelden. 2004. Etat du monument en 2014.

Le second fils de Jean Senior, Jean Michel, s’installe à Oberhergheim où il se marie en 1680. C’est l’origine de l’implantation de la famille dans cette commune, d’où provient le pigeonnier reconstruit à l’écomusée.

Sur la question  des pigeonniers, nous renvoyons à un article que nous leur avons consacré en 1982 :

Grodwohl M. Autour du sauvetage du colombier d’Oberhergheim. Note sur les pigeonniers en Alsace. In Espace alsacien. Revue de l’association « Maisons paysannes d’Alsace ». N° 21. Octobre 1982.

Le Hofzeichen (emblème de ferme), symbole de la puissance intégratrice de la domus

Au cours de cette recherche succincte, nous avions constaté que la carte des pigeonniers sur poteaux ou à pied se superposait à celle d’une forte densité des signes de ferme ou maison, dits Hofzeichen. Ces signes assez simples, dérivés en général de la croix ou du cercle, se rencontrent en différentes régions de Suisse, d’Allemagne, d’Europe du nord. La recherche ethnographique allemande du XIXe s. en fut friande, car certains Hofzeichen étaient facilement interprétables comme des runes, ce qui étayait l’idéologie d’une paysannerie non corrompue par la civilisation urbaine, et pour cette raison conservatoire du sang, des croyances et des usages des anciens Germains.  En Alsace, l’usage des marques semble localisé. Elles n’ont peut-être pas exactement la même fonction partout. Au minimum, ce peuvent être des marques d’illettrisme, utilisées pour la signature des actes. Mais là où elles  sont omniprésentes, la plaine de Haute-Alsace sur les rives de l’Ill, grosso modo entre Ensisheim et Colmar, elles sont véritablement des emblèmes. Ceux-ci obéissent à des besoins pratiques : ils permettent d’identifier les biens mobiles d’une maisonnée : outillage, cheptel, et d’en identifier sans équivoque le propriétaire dans le cas d’une mise en commun des outils ou des troupeaux. Chaque grande ferme possède ainsi son ou ses fers à marquer.



Figure 17. Le Hofzeichen, figuré en blason, de Mathias Steib, cultivateur et prévôt de Wihr (actuellement Horbourg-Wihr), vitrail daté 1616 (extrait de: Histoire de l'Alsace rurale, 1983) conservé au Musée Unterlinden à Colmar.

Les habitants interrogés parlent plutôt de « blason de la maison » ou de blason de la ferme, que de blason familial. On trouve alors la marque gravée à différents endroits de la maison : porche sur la rue, entrée de la maison, puits, etc. Mais elle figure aussi sur des pierres-bornes, comme la ferme Schmoll d’Oberhergheim en présente une belle collection. Est-ce qu’on peut pour autant supposer que la marque est distinctive d’une tenure ? Et qu’elle peut être un élément facilitant la  comptabilisation du cens (redevance foncière) payé en nature ?

La marque s’applique aux biens matériels, donc, et s’affiche d’autant plus généreusement que ces biens sont importants. Celle de la famille Schmoll est une croix patriarcale, qu’aujourd’hui encore on nomme « Schmollakritz », la croix des Schmoll. Le tombeau de Jean Schmoll senior (1682), à Hitzfelden, n’en comporte pas. Le blason figure, ou plutôt figurait car le monument est aujourd’hui illisible, une crosse de berger symbolisant la fonction publique du personnage, maître de corporation. Mais quelques pas plus loin, une pierre datée 1694 porte avec les initiales MS la croix patriarcale. On retrouve cete dernière en quantité dans la ferme d’Oberhergheim d’où provient le pigeonnier, associée aux dates 1701 (dépendance), 1741 (abreuvoir), 1781 (puits), 1832 (logis).



Figure 18. Croix patriarcale des Schmoll datée 1694 à Hirtzfelden, sur une pierre encastrée dans une murette de clôture


 

Figure 18 b. Depuis la prise de vue figure 18 en mai 2014, la pierre gravée a été extraite de la murette (on voit la reprise fraîche en béton marquant son emplacement), sciée et collée sur le portail d'entrée (octobre 2014).

Figure 19. La même croix dans une troisième ferme Schmoll à Oberhergheim, sur un pilier de portail daté 1782
 

Nous avons publié nos premières observations en 1982 :

Grodwohl M. Autour du sauvetage du colombier d’Oberhergheim. Note sur les « Hofzeichen ». In Espace alsacien. Revue de l’association « Maisons paysannes d’Alsace ». N° 21. Octobre 1982.

Notre brève enquête était passée par les registres paroissiaux, pour se faire une idée des limites de l’identification des individus à la maisonnée au double sens physique et de lignage, ou domus. Les résultats des sondages portant sur la fin du XVIIe s. et le XVIIIe s. sont éloquents. A côté de marques d’illettrisme ( initiales malhabiles), de symboles professionnels (navette de tisserand, crosse de berger, roue de charron…) on rencontre des figures plus complexes et construites, dont la croix patriarcale des Schmoll.

L’identification marque/maisonnée (au sens de domus intégratrice des personnes, des bêtes et des choses) peut suivre le couple des maîtres de maison jusque dans la tombe. On en a des exemples, dans la belle mais malheureusement  très dégradée collection de monuments funéraires de l’ancien cimetière de Hitzfelden (à côté de l’église). La pierre tombale de Bartholomé Ebelin, bourgeois et aubergiste du Cheval Blanc, datée 1718, présente (présentait car elle est à présent totalement érodée)  un blason avec la marque, un Z barré, figurant également sur le cimier. C’est lui qui accueillit dans son établissement Louis XIV, lors de son étape à Hirtzfelden…

De la même famille subsiste un second monument funéraire, mieux conservé. L’inscription concerne Bartolomé Ebelin (fils du précédent) « du Tribunal » décédé en 1753 à l’âge de 63 ans et au-dessus, serré dans l’espace demeurant libre, sa belle-fille Catharina  Memminger décédée en 1786 à l’âge de 63 ans.

Figure 20. Ancien cimetière de Hirtzfelden. Dalle funéraire de 1628 regravée en 1753 et 1786.
 

Les deux blasons se rapportent en réalité à la première phase du monument, explicitée par l’inscription courant dans le cadre, qui mentionne le couple Hans Seiderlin et son épouse Ede( ?) Rosina Ebler (=Eblin) et la date 1628. Les blasons sont donc à gauche, avec les initiales HS, celui de l’homme et à droite celui de la femme avec les initiales E.E. Le Z barré des Ebelin existe donc en 1628, marque magnifiée par son inscription dans son écu.



Figure 21. Les blasons Seiderlin et Ebelin (1628). Les Hofzeichen sont repris de part et d' autre des initiales de Bartolomé Ebelin (1753): hommage au couple fondateur de la lignée. 

Figure 21b. Le blason de Jean Ebelin, prévôt du village d'Hirtzfelden, enregistré dans d'Hozier, Armorial de la Généralité d'Alsace en 1696. Noter l'ajout du coeur pour composer, avec les initiales, le blason personnel de Jean Ebelin.

Les deux marques sont reprises, simplement gravées en-dessous des blasons,  en encadrement des initiales de Bartholomé Ebelin. L’usage pendant près de 160 ans du même monument funéraire, portant la mention de personnages appartenant à trois générations différentes en long sur l’extension de l’emprise de la domus jusqu’à la nécropole.  On trouve une image en miroir de cela sur un porche de Auggen, non loin de là mais de l’autre côté du Rhin, où s’échelonnent 7 couples dates/initiales du couple, de 1759 à 1921. Mais là, les blasons sont distincts du Hofzeichen, réduit à un classique 4 de chiffre.



Figure 22. Série d'initiales des couples maîtres de la maison à Auggen.

Ce que l’on pourrait attendre d’un écomusée digne de ce nom

Réviser l’histoire du pigeonnier anonyme de l’écomusée montre la richesse du propos qu’un musée digne de ce nom pourrait développer à partir de cet objet. On pourrait montrer comment, sur une durée appréciable, les individus d’un lignage s’affilient par la marque à cette maison totale que nous nommons la domus, intégratrice des temps –passé, présent, futur- des espaces –sur la terre  et dans l’au-delà- et des hommes –les vivants et les morts-.

Comment aujourd’hui –d’où que l’on vienne et où que l’on aille-  être de quelque part, d’un lieu qui fait lien avec les ancêtres ? Ainsi se posait la question de la transmission, centrale dans la relation entre le musée, ses contributeurs et son public. Comment poser cette question dans des termes nouveaux,  appropriés à la société et aux cultures contemporaines ? Les lieux plus ou moins institutionnels d’expérimentation cherchant à coopérer avec le public sur ces sujets proprement anthropologiques ont disparu ou, comme l’écomusée d’Alsace en est l’affligeant exemple, sont dévoyés. Reste l’initiative individuelle, plus florissante qu’on ne pourrait le penser.

Car cette histoire de pigeonnier peut, pour l’heure,  finir sur une touche positive. Nous avons dit qu’une fois le pigeonnier reconstruit, en 1981, nous avons distribué autour de lui tous les bâtiments formant le cadre matériel, le terme de cadre est assez juste car l’objet central est le pigeonnier. Pour équiper ces bâtiments, on se mit en quête de mobilier.

A Logelheim, on nous proposa des éléments d’une grande ferme, inhabitée depuis de nombreuses années. Ici, la domus s’était éteinte dans une tragédie, la maison était saisie dans l’instant de la disparition du dernier représentant de la longue lignée de ces Bellicam là. Je ne dirai pas le monde dans lequel nous sommes entrés, sitôt le portail franchi. Le tracteur était encore là où il travailla,  quelques instants avant le basculement de la ferme dans le néant. Toujours à la même place, mais au sommet de l’arbre qui avait poussé à travers lui pour l’élever vers le ciel. Ultime prière. Du reste de ce que nous avons vu, encore une fois je ne dirai rien.

Nous avons prélevé un superbe lit à colonnes, un pressoir monumental, et un fer à marquer portant le Hofzeichen des Bellicam, une croix fléchée. On imagine la tristesse qui était la nôtre, d’emporter d’aussi maigres vestiges de cet ensemble gigantesque, dont raisonnablement on ne voyait pas comment il aurait pu être sauvé.

Et pourtant, il a trouvé ses bonnes fées. Il a été intégralement restauré par des personnes sensibles et passionnées. Elles en ont fait, sans le dire et sans que cela se sache, le plus bel ensemble rural conservé de la région. Respect et reconnaissance.





Figures 23 et 24. La ferme Bellicam à Logelheim, état actuel (2014)

 



Figures 25 et 26. Tombeau de Gervais Bellicam avec Hofzeichen (1907) au cimetière de Logelheim, photographié au moment de la rédaction de cet article en 2014. Voulant revoir ce monument en mai 2019, j'ai constaté qu'il a été déplacé à un autre endroit, proche de l'entrée de l'église.

Au cimetière de Logelheim est la tombe de Gervais Bellicam (1833-1907) et de Joséphine Heymann son épouse (1845-1888). Une de ses faces est gravée de la croix fléchée. Elle est une injonction à la postérité de la domus : « Dieses Hofzeichen soll den Besitzer davon an ein ewiges Jahrzeit erinnern ». En voici la traduction proposée par Christine Muller, Emblèmes de métier en Alsace, 2016,p. 33

"Il incombe au possesseur de la marque de faire célébrer le service anniversaire perpétuel [en mémoire des prédécesseurs qui ont détenu la marque] "

 

 

Marc Grodwohl, mai 2014, actualisé régulièrement

Nouvelle publication de cet article

Une autre version de ce texte, complétée et améliorée, a été publiée dans:

Société d'histoire de la Hardt et du Ried
N° 26- 2014

sous le titre:

Le pigeonnier d'Oberhergheim: mémoire d'un sauvetage et pistes de recherches

(nota :la traduction de l'épitaphe de Gervais Bellicam y est très mauvaise, se référer à celle excellente de Christine Muller)

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Voir aussi: 

BOEHLER Jean-Michel, notice Hofzeichen, in Dictionnaire des institutions historiques de l'Alsace, n° 9, p. 1066-1067, 2016